Les Comptoirs du Noir – 18 novembre 2015

18 NOVEMBRE 2015 : Un grand merci ! Malgré les tristes évènements de la fin de semaine dernière, vous étiez plus nombreux que je n’aurais pu l’espérer à vous rendre mercredi soir à la soirée de lecture de mes textes, dans le cadre des Comptoirs du Noir ! La salle était presque comble, je remercie encore une fois tous ceux qui sont venus de tout cœur !

Un immense merci également à Marie-Pierre de Porta, l’organisatrice des Comptoirs, et aux interprètes qui ont lu mes textes, Hélène Babu et Thibault de Montalembert. Ils ont offert à mes textes une qualité, une profondeur que je ne soupçonnais pas !

D’autres soirées de lecture sont prévues, je vous en tiendrai informé.

Vous pouvez écouter l’enregistrement audio de la soirée (attention, il ne s’agit pas d’un enregistrement professionnel !) au lien suivant : https://soundcloud.com/user-339563830/comptoirs-du-noir,

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Lectures du 18 novembre

par

Hélène Babu

&

Thibault de Montalembert

  

extraites du blog

« Le Dieu Impatient« 

Guillaume

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SOMMAIRE


1. Un rire de trop lu par Hélène Babu
2. Le Vieux Prince lu par Thibault de Montalembert
3. Une femme en noir lu par Hélène Babu et Thibault de Montalembert (texte ci-dessous)
4. Une journée d’été aux Ebihens lu par Thibault de Montalembert
5. Les Chevaliers lu par Hélène Babu
6. Le Souffle d’un Ange lu par Thibault de Montalembert
7. Je crois que c’était vous… lu par Thibault de Montalembert

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 LA FEMME EN NOIR

Il a fait très chaud ce soir-là. William Williamson s’est couché trop tôt et trop vite. Réveillé en pleine nuit et ne pouvant plus trouver le sommeil, il branche la radio qui diffuse la chronique de faits-divers criminels.

En suivant le déroulement d’une histoire, il s’enfonce dans la nuit. Il ne sait plus s’il dort ou s’il est mêlé à l’action : il y a eu un crime et le meurtrier, fuyant dans l’obscurité, pousse un corps enveloppé dans un grand sac de toile, en pleine forêt, sous une pluie diluvienne. La masse qu’il traine est alourdie par l’humidité envahissante. Elle s’embourbe. Tout se confond alors : est-ce le meurtrier ou lui qui, avec un tel fardeau, ne parvient plus à franchir le tronc d’un arbre que la tempête a couché en travers du chemin ? Le corps glisse, résiste à son emprise, et lui échappe d’un coup. Entraîné par la pente, il prend de la vitesse. William Williamson se met à courir derrière lui, tente de le rattraper.

Dans son rêve, il voit son manteau soulevé par le vent, gonflé comme la roue d’un paon, plaquant contre les yeux du dormeur un voile sur l’inavouable. Leur course comique et macabre les précipite vers un groupe de maisons, en lisière de la forêt. Le cadavre finit par s’immobiliser au bout d’une ruelle, en plein milieu d’une place. Des passants attardés ont vu la scène. Ils ont découvert le corps, dégagé le visage en déchirant le sac. C’est celui d’une femme. Lui s’est arrêté, haletant, trempé, les mains souillées de boue et de sang. Il est la cible de tous, sur la place publique. Hors de question de s’échapper, il doit s’expliquer. Les villageois se rapprochent de lui dans une absence de mots aussi lourde qu’une condamnation. Sa vue se trouble.

Il ressent sur la tête un coup au bruit lourd qui le réveille brutalement. Il pose les pieds rapidement sur le sol et reste assis sur son lit. La tête lui tourne et lui fait mal. Avec soulagement, il voit le jour se lever lentement. Mais il ne peut chasser les images de ce rêve étrange.

Il aimerait se rendormir. C’est à ce moment qu’il entend quelqu’un sonner à la porte avec insistance. Si tôt ? Il n’attend personne. Un coup d’oeil en direction du réveil : il est déjà neuf heures du matin ! Revêtant à la hâte sa robe de chambre, il va ouvrir. Une femme inconnue pénètre dans l’entrée avant même qu’il ne l’y ait invitée.

– Vous aviez oublié ma venue ? J’ai dû sonner trois fois.

Il se souvient vaguement avoir sollicité la veille la visite d’un médecin.

– Où pouvons-nous nous installer ?

Il la fait rentrer dans la pièce principale qui sert de salon et de bibliothèque à la fois. La veille, il avait laissé les baies grandes ouvertes. Les rideaux s’agitent et ondulent à la lumière et au vent. L’invitant à s’asseoir, il referme les fenêtres. Lorsqu’il se retourne vers le médecin, il est frappé par le noir de ses cheveux qu’il n’avait pas remarqué plus tôt. Leur éclat transforme la pièce et l’assombrit soudainement.

Déposant sa serviette au pied de la chaise, elle croise les mains sur les genoux et fixe sur lui des yeux d’un même noir. Encore un de ces regards de femme qu’il ne peut soutenir.

– De quoi s’agit-il exactement ?

Il commence par lui raconter ses maux de tête, ses vertiges, mais il se garde de lui en dire plus. Elle l’écoute et plisse le front.

– Ce n’est pas ce que vous avez dit en prenant le rendez-vous. Je ne suis pas spécialiste en maux de tête !

– Comment ?

En réalité, il n’a pas de souvenir précis de son appel. De quoi a-t-il pu parler? Son regard va ricocher contre les murs, qui ne renvoient aucune réponse. Il n’ose toujours pas la regarder et tente en vain de se rafraîchir la mémoire.

– Vous ne vous souvenez-pas ? Vous ne voyez pas ?

Il est surpris par cette intonation sûre et autoritaire. Ce n’est pas comme si cette femme le consultait en lui posant des questions, elle veut entendre une réponse qu’elle connaît déjà! Il commence à s’inquiéter, mais il n’a pas la force de réagir, il se sent irrésistiblement dominé par cette femme en noir.

– Voyons, faites un effort !

Il frissonne de tout son corps. Il voudrait crier. Elle lui fait peur. Il vaudrait mieux la mettre dehors, mais il n’en a pas la force. Il reste muet et paralysé.

Elle sort un dossier de sa serviette, le pose sur la table, en extrait une photo. Il y distingue quatre ou cinq formes couchées. On dirait des corps, ficelés dans des sacs de toile sombre. N’est-ce pas une scène déjà vue, déjà vécue ? Elle lui montre une autre photo. Il fait de plus en plus sombre et froid dans la pièce. Tétanisé et obéissant, il la prend entre ses doigts tremblants. Il doit l’incliner légèrement pour qu’elle prenne la lumière, afin de s’assurer qu’il voit bien ce qui est sur l’image. Ce sont toujours les mêmes corps, mais leurs têtes ont été découvertes. Il distingue des femmes endormies ou mortes. Elles ont toutes les mêmes cheveux noirs, elles ont exactement les mêmes traits, comme des soeurs jumelles, elles sont toutes identiques à la femme morte de son rêve cette nuit !

Le sang afflue à ses tempes. La femme s’est levée, elle s’est rapprochée de lui. Il est saisi d’effroi. Il voit la criante ressemblance. C’est elle, sur la photo! Tous ces corps… Le même visage ! Elle est au-dessus de lui, son ombre le recouvre entièrement. Il sait qu’elle va bientôt pointer son doigt vers sa poitrine qui, déjà, étouffe. Il ne peut pas fuir. Il tombe de sa chaise à la renverse.

Pris d’un soubresaut, William Williamson se réveilla sur le sol. Il était tombé du lit. Il osa à peine ouvrir les yeux. Lentement, il reprit conscience, soulagé mais tremblant ! Il s’était rendormi ! Il se précipita sous la douche, s’habilla rapidement et décida d’aller prendre son petit déjeuner au café d’en bas. Il était poursuivi par la vision du dernier rêve. À la fois terrorisé par cette femme venue prononcer son jugement, et heureux d’avoir compris qu’il ne s’agissait que d’un délire de plus.

Pourrait-il trouver une signification à de tels rêves ? Il avait lu quelque part que, voir en songe la mort de quelqu’un, c’était lui porter bonheur. Mais la victime de son rêve ne ressemblait à personne qu’il connaissait.

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… d’autres textes choisis pour la soirée, mais il aurait été trop long de tout lire…

Je suis devenu une raie

Le sac aux vingt pensées

Un beau visage impassible

Laissée seule

Carpe Diem

Souffrance d’enfant