Laissée seule

24 Août Laissée seule

J’aurai voulu rester avec elle, encore un peu plus longtemps. Il n’y avait plus, autour de sa tombe, que les plus proches, les miens. Les uns après les autres, les invités à la noce céleste avaient défilés devant le trou que l’on venait de recouvrir d’une planche et d’un étrange tapis de moquette verte. Et ils remontaient maintenant le cimetière vers la sortie, en direction de la réception où nous les avions conviés, en haut du chemin, dans une des salles du monastère où tout avait été préparé.

J’entendais les éclats de voix, les mouvements de cette procession vivante, inconsciemment joyeuse d’être vivante. J’aurai tellement voulu le silence, le vide, le recueillement. Je la savais là, à quelques centimètres au dessous de moi. Le matin même, j’avais été la voir avant qu’on ne referme une boite de bois clair sur elle. Déjà, son visage avait changé. Il n’y avait plus le même sourire mais un maquillage juste un peu trop lourd, une délicatesse un peu ratée de l’embaumeur, m’étais-je alors dit, et des musiques de circonstances qu’on aurait pu éviter. J’avais caressé sa main, touché la peau froide mais dont j’avais senti encore la finesse, comme celle du parchemin d’un texte subtil et précieux.

La mise en terre avait eut lieu dans ce petit cimetière de campagne, à l’ombre de l’imposante abbaye bénédictine qu’elle avait tant aimée. Le léger sarcophage fut glissé dans la terre mouillée par les pluies très fortes de la journée, la terre noire et grasse de la Petite Pologne, si différente de sa terre natale en lointaine Asie.

Le soleil nous avait pourtant attendu, baignant la procession dès son entrée au cimetière de rayons réconfortants. Les nuages s’étaient écartés, ils s’étaient immobilisés sur quelques côtés du ciel, veillant comme des géants silencieux et bienveillants sur notre cérémonie.

Il y eut des chants encore, un peu trop, car il faut bien que les hommes se rassurent. Et je restais maintenant, tandis que les allées étroites du cimetière se vidaient. J’aurai voulu compter les secondes, aller au moins jusqu’à deux cent, avant d’aller rejoindre l’humanité et rendre leur hommage aux vivants.

Je partais donc. Et je gardais le coeur serré, dès les premiers mètres. L’étreinte ne faiblit pas, une fois que j’avais regagné la réception, les convives et les verres. Nous l’avions laissée seule. En tête à tête avec les arbres, l’humus, le vent, le soleil et la pluie. Seule.

Tyniec

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