Souvenirs de Noël

28 Déc Souvenirs de Noël

C’est dans les délices de ma petite enfance que je puise mes premiers souvenirs de Noël. Comme pour des millions de petits français, Noël chez nous était avant tout la grande fête familiale, le point culminant de l’année. Le sapin, la crèche, les cadeaux… rien ne manquait et la joie était toujours au rendez-vous. Est-ce pour cela que mes parents entretinrent le mythe du Père Noël le plus longtemps possible ? À mon tour, je décidai de respecter la fable si importante pour nous tous jusqu’aux rivages de l’adolescence. Était-ce pour prolonger l’enfance ou pour maintenir une complicité particulière avec mes parents ? J’ai continué de croire très tard au Père Noël.

Les cadeaux exprimaient plus que tout la magie de Noël. Je rédigeai des listes détaillées de mes choix que j’envoyai au Père Noël, accompagnées de dessins qui indiquaient aussi l’ordre de mes préférences. Mes lettres lui parvenaient toujours : Mon père postait les enveloppes que j’avais coloriées mais sur lesquelles je lui laissais la place pour qu’il y écrive une adresse connue de lui seul. Ce courrier fonctionnait à merveille : les surprises sous le sapin, celles où mon prénom était écrit en lettres majuscule sur le papier d’emballage, comblaient toujours mes rêves 

Pourtant, de ces cadeaux je ne me souviens que d’un seul. C’était un château fort et des soldats médiévaux en plastique gris destinés à le protéger des assauts d’armées cruelles et invisibles. Il était crénelé de remparts le long desquels je pouvais poster mes hommes, au dessus d’un pont-levis dont je gardai les lourdes grilles levées ou abaissées selon l’imminence du danger. Le donjon s’élevait fièrement, une porte judicieuse en permettait l’accès, suivie d’un escalier en colimaçon digne de celui du dernier combat du film “Robin des Bois”. Je plaçais les chefs et les héros à son sommet, ceux qui devaient diriger la bataille autant que la vie à l’intérieur de la forteresse.

J’en faisais ma place forte, j’y cachais une bonne partie des soldats, prêts à investir le haut de la tour ou, en un éclair, courir rejoindre les archers auprès des nombreuses meurtrières qui fendaient méthodiquement les hauteurs des remparts.

Heureusement, Noël s’annonçait, les préparatifs se précisaient, le temps rétrécissait et la joie augmentait. Cela commençait par les calendrier de l’avent, dès le début du mois de décembre. Chaque matin nous relevions les petites fenêtres de papier qui découvraient les étapes de la Nativité. Elles nous rapprochaient lentement mais sûrement du grand jour. Ces calendriers me faisaient un peu penser au jeu de l’oie, avec l’enfant Jésus nouveau né dans la crèche en dernière case. Il y avait aussi ce petit carroussel en métal doré que ma mère avait acheté pour rappeler, disait-elle, les traditions lorraines de sa famille maternelle. Des petits chevaux légers y couraient en silence sous le seul souffle des flammes de quatre fines bougies.

Il y avait surtout les santons de la crèche que nous retrouvions d’un Noël l’autre et dont nous avions nos personnages préférés, en particulier les Rois Mages. Selon un rituel bien réglé, ces derniers étaient d’abord disposés loin de la crèche. Nous leur ferions suivre ensuite le chemin  traçé dans les reliefs des rochers en papier formés par ma soeur, décoratrice en titre de la crèche, pour arriver enfin à leur but le jour de l’Épiphanie. Chacun des frères avait son roi : François avait choisi Gaspard parce qu’il semblait le plus âgé des trois et convenait ainsi à son statut de frère aîné, Christophe aimait Balthazar au visage aussi noir que celui des opprimés et dont le genou, pour confirmer l’humilité, était toujours à terre. Quant à moi, je préférais Melchior dont la barbe et l’élégance me faisaient penser à Aramis.

Enfin, il y avait le sapin qui répandait dans la maison des odeurs de résine et de montagne. Les boules et les pommes de pin pesaient sur les branches tandis que l’enchevêtrement des guirlandes, qu’elles soient artificielles ou électriques et clignotantes, envoyait des lumières qui scintilleraient plus tard sur les cadeaux aux multiples couleurs. Plantée en haut du sapin, l’étoile du Berger confirmait les miracles à venir.

En les attendant, mon frère et moi regardions beaucoup la télévision. Surtout les derniers jours, pour tuer le temps et fondre par enchantement les heures qui nous séparaient encore de l’évènement. Je me souviens surtout d’un film, inspiré directement des Trois Messes Basses d’Alphonse Daudet : L’impatience de dom Balaguère, incarné par Fernandel, de rejoindre le banquet de Noêl reflêtait au mieux celle de Christophe et la mienne. Il y eut aussi un autre film et l’histoire désolante d’un petit chien tombé dans un puits. Je m’inquiétais qu’on puisse jamais l’en ressortir vivant et, surtout, avant que tombe la nuit de Noël dont les premières ombres venaient enfin caresser cette fin d’après-midi. J’étais d’autant plus triste que ce chien, un teckel à taille basse, ressemblait beaucoup à Moonie, la chienne de la marraine de Christophe à laquelle nous étions très attachés.

J’ai le souvenir, sur la route de Saint-Malo, de bourgades bretonnes traversées la nuit, éclairées de maigres décorations de Noël qu’on avait accrochées aux rares monuments publics, sur la façade de la mairie, en travers de la rue principale ou, plus rarement, au dessus du porche de l’église. Elles égayaient à peine les gris pluvieux et venteux d’hivers bretons jamais blancs.

J’ai encore les images de messes de minuit dignes et interminables, où l’impatience luttait contre l’ennui, ce qui m’évitait de m’endormir avant de rentrer découvrir les cadeaux, comme de chorales qui s’époumonaient en minuits chrétiens pompeux mais émouvants à la fois.

Des repas de Noël, ma mémoire en a gardé certains chez ma tante, soeur cadette de ma mère. Non loin du Mont Saint Michel, nous traversions la frontière qui sépare la Bretagne de la Normandie, pour gagner la petite ville de Domfront. En y arrivant, il fallait encore que mon père au volant réussisse l’immense virage qui partait d’abord vers la droite tout en montant à pic et qui, aux dires de mon oncle, assureur de son métier, était le plus dangereux et le plus rentable de tout le département. Alors, nous atteignions les hauteurs du fief de Jean-Yves, baignées de brouillards et de givres, en laissant à gauche une citadelle en ruine pour pénétrer la bourgade aux rues qui grimpaient vers une église ventrue, dont les murs étaient aussi épais que les bras de l’ogre du Petit Poucet.

Nous étions beaucoup moins dociles que nos cousins. Aussi, ma tante nous permettait de jouer dans l’allée en béton qui menait du portail jusqu’à la porte de sa cuisine. À l’intérieur, il fallait respecter l’ordre et le confort lourd du salon et de la salle à manger. Les parquets de l’escalier et des étages brillaient et sentaient la cire encore fraîche. Ils étaient neufs ou solides ou les deux à la fois, car jamais ils ne craquaient sous nos pas. Tout en haut de la maison, à côté du grenier où nous jouions au ping-pong, les chambres d’invités étaient à peine chauffées, à tel point qu’il arriva quelque fois que nous repartions malades, surtout ma mère et moi. De ma tante, nous recevions des étrennes que nous cherchions à dépenser en vain le jour même, mon frère et moi, en arpentant la rue du centre du bourg aux commerces fermés.

C’est au cours de l’un de ces Noël normands que nous apprîmes la mort de Charlie Chaplin, quelque part en Suisse où j’imaginais une résidence silencieuse et endeuillée, devant un grand parc recouvert par la neige.

Les joies des Noël de mon enfance sont restées intactes. Je me demande si, alors, je ne confondais pas Dieu le Père avec le Père Noël lui-même. La barbe blanche, les virées célestes, la bonté inépuisable du vieillard en uniforme rouge se mêlait un peu à l’imagerie naïve de l’éducation chrétienne de l’époque. Aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de croire que Dieu est aussi attentif et généreux que ce généreux donateur universel que les hommes ont inventé pour ravir les enfants.

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