01 Nov Une telle beauté
Ne pas trop la regarder. Faire comme si je ne l’avais pas remarquée, pas plus qu’elle qui me fait face en m’ignorant. Elle est assise à quelques mètres de moi, au sein du groupe d’une dizaine de personnes que nous formons en cercle. Pourtant, sa présence parmi nous tient presque du miracle tant sa beauté tranche avec nos banalités.
Mais j’ai l’impression d’être le seul à admirer son visage à l’ovale parfait, ses grands yeux bleus qui illuminent la pureté de son teint où la jeunesse et la fraîcheur éclatent. Jusque son sourire qui multiplie encore sa beauté par cent. Elle l’esquisse rarement, toujours contenu, juste comme il est de rigueur lors d’un séminaire professionnel, mais dont j’ai tout de suite pressenti la puissance dévastatrice et désarmante à la fois. Elle s’exprime peu mais tout ce qu’elle dit me semble d’autant plus juste parce qu’une telle grâce ne peut être que l’incarnation d’une vérité entière et parfaite. Elle a le profil d’une déesse ou d’une médaille antique, un nez fin qui dévale son visage comme l’arête d’un sommet de montagne. Jusque chacun de ses gestes, rares et discrets, qui soulignent l’inutilité pour elle d’en faire plus, tant le peu qu’elle est et dense et charmant à la fois. J’ai aussi admiré sa silhouette, le corps aux milles perfections que révèlent ses vêtements, ses mouvements, jusqu’au rayonnement qu’elle émane et qui rend l’espace plus lumineux autour d’elle.
Je suis fasciné par sa beauté, encore plus surpris qu’elle apparaisse dans ce lieu. A priori, il ne devrait y avoir ici que des bougres médiocres. Est-ce la raison pour laquelle ceux qui complètent notre groupe, autant de femmes que d’hommes, tous plus âgés qu’elle, ne l’ont visiblement pas remarquée ? À moins qu’ils fassent comme moi, qui m’efforce de faire semblant de ne pas céder à la beauté qui s’impose en face de moi, si près de moi. Je ne peux pas trop la regarder parce que je pourrai céder, briser les convenances, l’adorer de mes yeux, trahir ma permanente quête de l’éternel féminin ici incarné, et me rendre ridicule.
Je regarde les autres, je fais semblant. Le sujet de nos échanges n’a aucun intérêt et ne peut en avoir en de telles circonstances. Quand la beauté est là, comme si elle venait du paradis, plus rien d’autre n’a de sens. Je voudrais garder les yeux fermés et là, dans le noir de mes paupières, redessiner uns à uns tous les traits de son visage pour les enregistrer à jamais dans ma mémoire. C’est la seule manière que j’ai trouvée, assis en face d’elle, pour saisir cette beauté que je désire tant. Pour qu’elle soit un peu mienne.
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