12 Août Un regard orange
À quelques mètres de nous, un regard orange parcourt l’espace. J’étais dans son champ de vision, je crois bien avoir été compris dans le balayage distrait qu’elle a penché d’un coup de tête. Au début, je ne l’avais pas remarquée. Patricia et moi avions remonté jusqu’à la limite du sable, à la lisière de la dune que les ajoncs tentent de contenir d’un épuisement géologique qui inonderait encore plus la plage. Ce n’est qu’une fois étendus l’un à côté de l’autre, nos corps couchés sur le sable fin, nos coudes enfoncés là où l’humidité rafraîchit un peu le sol, après avoir attendu longtemps pour ouvrir mes yeux malgré le soleil miroitant dans les vagues tout proches, que j’ai commencé à regarder autour de moi.
Patricia était près de moi. Son corps mouillé par la nage étincelait de milliers de cristaux de sel et de mer qui étaient venus lécher son bain, et qui s’étaient incrustés sur sa peau comme autant de bijoux aussi éphémères qu’éternels. Ses jambes, son ventre, ses bras et son cou étaient magnifiés de toutes célébrations. Elle était si belle que je n’osais aventurer mes yeux vers elle.
Je préférais me caler dans mes coussins de sable, et fermer les yeux pour des sommeils aussi prometteurs.
Elle ne m’a certainement pas remarqué non plus. La lecture du livre qu’elle fait passer d’une main l’autre est beaucoup plus importante. Elle est beaucoup plus jeune que nous, elle ne doit pas avoir plus de vingt ans. Attend-elle un idiot de son âge ? Elle interrompt parfois son étude, parcourant en silence l’étendue qui s’étale à ses pieds, tournant la tête dans un sens, ou dans l’autre, avant de se pencher de nouveau sur son ouvrage.
Me suis-je réveillé ? Je n’en suis pas certain, car Patricia, à mes côtés, est étendue sans bouger. Un léger sourire aux lèvres, les traits de son visage marquent la bénédiction d’un repos que je n’oserais atteindre. Pour que rien ne rien change, j’ai levé la tête en silence, à mon tour. Et je l’ai vue.
La jeune femme seule est à trois mètres de nous, à notre gauche. Il ne m’est guère difficile de la contempler, tant sa lecture l’absorbe et qu’elle n’en sait rien. À croire que tout l’espace et le monde autour d’elle, Patricia et moi inclus, n’existaient pas.
Le ciel est si pur qu’il ne retient aucun rayon du soleil. Je profite de la torpeur du moment et de cette absence momentanée de Patricia pour m’engloutir des beautés de cette naïade pour qui, de toute façon, je ne suis pas. Je me transforme, tout le temps que je le pourrai, en voyeur intrépide et ardent.
De mes yeux grands ouverts, j’ai le temps d’avaler goulûment toutes les beautés de son corps. Le grain de sa peau, le plat de son ventre, la finesse de ses jambes, la courbe de ses hanches, jusque la promesse de ses seins qu’elle a magnifiquement tenue parce qu’à un moment, elle s’est relevée pour ajuster sa position. L’éclair d’un instant, j’ai été saisi par la beauté et la profondeur d’une poitrine que je ne pensais pas aussi belle, et dont j’ai maintenant compris l’adorable splendeur.
Tout en elle est fausse négligence. Le haut de son maillot de bain noir, le bas mauve, la fantaisie de ses lunettes de soleil teintées d’un plastique orange de fantaisie. Tout est plutôt clin d’oeil et sourire irrésistible de la vie. Je comprends alors que négligence est plus léger que concupiscence.
Je m’interroge sur le sens de tout cela. La présence de Patricia, endormie ou pas, si près de moi. Celle de cette déesse nonchalante et bronzée, à peine plus loin.
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