La jeune femme et l’oiseau

27 Jan La jeune femme et l’oiseau

Je la vois cette jeune femme. Elle aime marcher, longtemps, longtemps, toujours. Cela fait longtemps déjà qu’elle a quitté le pays de sa naissance. Elle ne s’est jamais arrêtée. Pourquoi continue t’elle de marcher encore et encore ? J’avoue que je ne le sais pas. Mais, peut-être qu’en te racontant son histoire, je finirai par savoir pourquoi moi aussi, en même temps que toi. Et peut-être aussi qu’elle-même, si elle tombe un jour par grand hasard sur ces lignes, comprendra pourquoi elle marche ? Car je crois qu’elle marche encore.

Je crois aussi qu’elle ne sait pas non plus pourquoi elle marche. Mais ce qu’elle sait, ce que je t’ai dit à l’instant, c’est qu’elle aime marcher. Elle aime sentir son joli corps aller de l’avant, ses bras balancer au rythme de ses pas, ses mains ouvertes qui embrassent l’air sans jamais se refermer sur elles-mêmes.

Elle aime sentir la terre qui se dérobe sous ses pieds et qui change toujours, tout en étant toujours la même. Parce qu’il révèle à chaque pas toutes les beautés toujours renouvelées de la nature, des prés et des forêts, tandis que les chemins enlacent les collines et épousent les étangs. Et que le sol est toujours ferme, sûr et solide, sous la plante de ses pieds.

Elle aime sentir le craquement des brindilles courtes et sèches, quand c’est l’été. Ou le murmure sourd et feutré des feuilles mortes, quand c’est l’hiver. Elle aime lever les yeux vers la lumière, surtout quand le ciel sans nuage déploie l’azur et la paix. Ou quand le soir plante sa tente sombre et douce, à la voûte parcelée d’étoiles qui scintillent et qui reflètent dans ses yeux des paillettes d’or et d’espoir.

Cette jeune femme va au devant d’elle. Elle pousse son chemin là où ses pas l’emmènent, parce qu’elle a confiance. Elle sait qu’elle doit toujours avoir confiance. Depuis sa naissance, et dans le regard d’amour de son père, elle a compris qu’elle était belle, qu’elle était appelée à une vie d’amour sans fin et que rien ne pourrait jamais empêcher. Elle croit dans la promesse de la vie, et elle a raison d’y croire.

Les années ont passé. Celle qui était l’enfant chérie de ses parents est aujourd’hui une jeune femme, et s’esquissent déjà en elle les traits de celle qui sera toujours belle et subtile. Parce que son âme est très délicate, parce qu’elle est extrêmement sensible à l’élégance, à la merveille et aux émotions les plus rares.

Les années passent, donc. Et la jeune femme marche toujours. Elle a quitté le village de ses parents depuis longtemps, parce qu’elle a sû très tôt que la vie et l’amour qui lui sont promis l’attendent ailleurs. Elle a laissé derrière elle le pays de son enfance, la belle maison aux vieilles pierres qui gardent la mémoire des générations anciennes, le jardin aux pelouses douces, bordé par une rangée d’arbres hauts et impressionnants, qui veillent sur les lieux dans la force et le silence.

Et elle traverse les villages et les contrées, depuis déjà longtemps. Des jours, des semaines, des mois, des années peut-être. Ses journées suivent toujours le même rythme : Levée aux premières lueurs, elle reprend sa route jusqu’au soir, jusqu’au premier refuge trouvé, au cœur des villages et des villes des hommes.

Elle ne compte pas le temps, puisque sa vie n’a pas encore vraiment commencé. Et le temps la respecte, puisqu’il s’écoule discrètement et en silence, et qu’elle est toujours aussi éclatante de beauté qu’aux premiers jours de sa jeunesse.  

Je commence à comprendre. Si cette jeune femme marche, c’est parce qu’elle n’a pas encore trouvé l’amour.

Sais-tu ce qu’est l’amour ? Sais-tu qu’il est le fruit du hasard et d’une rencontre, et qu’il faut toujours qu’une magie spéciale opère pour que l’un et l’autre se croisent. 

C’est sans doute pour cela que les jours, la jeune femme traverse des pays nouveaux sans s’arrêter. Sur son chemin, son regard croise bien celui des hommes qui, attirés par sa beauté étrangère, viennent au devant d’elle. Mais elle continue son chemin, parce qu’elle sait au plus intime d’elle-même que l’amour n’est pas là. Cela, elle le saurait. Son cœur réagirait, sa poitrine se soulèverait si elle croisait l’amour. Tant que cela ne se produit pas, elle continue de marcher.  

Je t’ai parlé des merveilles qui habitent son âme et qui font rayonner sa beauté. Celle-ci s’exprime autant dans l’élégance de sa silhouette menue que dans la finesse de ses traits. Ses longs cheveux noirs encadrent un visage à la peau blanche comme de la nacre. Ses yeux sont d’une couleur verte tachetée de cristaux joyeux qui brillent comme les pierres rares et précieuses.

Si son sourire est rare, il révèle une âme intense et profonde qui, parfois, laisse éclater son charme et son ardeur, lorsqu’une pensée pure ou la contemplation d’une beauté de la nature la mettent en joie. Alors, elle ouvre grande la bouche, ses lèvres fines s’étirent et s’égaient, elle n’hésite pas à rire fort, avant de prendre une respiration profonde où l’air environnant vient irradier son corps de lumière.

Je ne t’ai pas encore parlé de la tristesse qui pénètre parfois son cœur. Car si elle aime marcher, je crois qu’elle aimerait aussi se reposer dans les bras d’un bien-aimé, et qu’elle doute parfois si elle finira par le rencontrer. Ce jour arrivera t’il ?

Il viendra peut-être après la fin de cette journée d’une marche aride, au bout d’une campagne plate et sans relief. Le corps étreint par la fatigue, la jeune femme porte sa main juste au dessus de ses yeux, pour que son regard aille au plus loin, à la recherche d’un lieu où se reposer. Le cœur serré, elle voit se dresser devant elle un désert immense. Elle ne voit qu’un vide sans fin. Aucune végétation, qu’une immensité creusée d’innombrables crêtes de sable blanc, aussi immobiles et muettes que les vagues d’une mer morte depuis très longtemps. La jeune femme voudrait continuer droit son chemin, mais comment pourrait-elle traverser une telle étendue, sans être menacée par les brûlures du soleil, la sécheresse et l’absence de tout endroit où faire halte pour la nuit ?

Heureusement, elle distingue le creux d’une petite vallée qui se dessine sur sa gauche, dont les hauteurs protègent en leur sein la tendre verdure d’une petite forêt. La jeune femme décide alors d’incliner son pas sur ce côté-là, en direction du vallon.

La beauté des premiers arbres sur son chemin l’invitent à pénétrer plus profondément. Il ne lui faut que quelques pas de plus pour se rendre compte que le paysage a complètement changé. Un ruisseau serpente au cœur du vallon, des pelouses d’une herbe grasse et parfumée se déroulent le long du cours de l’eau.

L’air doux circule dans la lumière dorée du soir qui commence à tomber. La jeune femme est émerveillée par la beauté inattendue de ce qu’elle voit, au point de continuer son chemin et d’oublier sa fatigue. L’ombre avance avec elle, pour recouvrir peu à peu la crête des arbres, leurs feuillages abondants, les troncs et tout autour d’eux, les prés et les collines. Elle suit le chant de la rivière dont l’écoulement murmure une mélodie joyeuse. La surface de l’eau renvoie de plus en plus de reflets argentés, dès que les premières étoiles commencent à scintiller, là haut, dans un ciel devenu bleu et sombre, qui révèle son immensité peuplée d’une multitude de petits nuages blancs et de lointaines planètes.

La jeune femme marche maintenant en pleine nuit, c’est la première fois. Seule, au milieu d’une forêt de plus en plus dense, elle s’étonne même qu’aucune peur ne la tourmente. La journée est maintenant derrière elle, avec ses fatigues et ses bruits. Car maintenant, c’est un silence majestueux qui règne autour d’elle et, peu à peu, en elle. Le seul son qui lui parvienne, c’est celui de la rivière. Il est de plus en plus sourd, de moins en moins important. Car la jeune femme comprend qu’elle est entrée dans une forêt à la beauté magique, dont la profondeur et le calme ressemblent mystérieusement aux émotions qui gagnent son cœur. Elle est intensément présente à elle-même, à ce qui se passe en elle. Elle ressent une unité et une paix intérieures comme jamais auparavant.

La jeune femme marche ainsi des heures qui ne comptent pas, comme si là aussi le temps ne s’écoulait plus. La tristesse qui étreignait parfois son âme a disparu. Elle se sent remplie de paix et, en même temps, de curiosité : jusqu’où la forêt la conduira t-elle ?  

Quand elle lève la tête vers le ciel, elle contemple ce spectacle unique que nul ne peut voir des villes, parce que nos lumières électriques nous aveuglent, en nous empêchant de voir qu’il y en a d’autres qui sont tellement plus belles, tellement plus puissantes, celles qui viennent du ciel, du soleil, de la lune et des étoiles.

Cela fait maintenant de longs moments que la jeune femme suit son chemin, le regard plongé dans les étoiles. Sans comprendre pourquoi, elle sait que la voie qu’elles dessinent indique une direction qu’elle peut suivre sans peur. Ce sont des milliers de figures célestes qui forment ensemble une harmonie merveilleuse. Celle-ci échappe à toutes les beautés auxquelles les hommes sont habitués, tout en révélant des lignes si belles qu’elles font battre son cœur très fort.

Dans ce même ciel, la jeune femme a remarqué une forme qui glissait au dessus d’elle. Celle-ci ne renvoie aucune lumière, c’est une marque brune qui avance dans l’air, au même rythme qu’elle. C’est comme si c’était son ombre inversée, se dit-elle un instant. Elle est étonnée, mais elle n’a aucune crainte là non plus.

Régulièrement, la forme s’étire en longueur pour s’effiler dans la brise nocturne. Ensuite, elle déploie des ailes sombres qui embrassent l’air dans un geste ample et lent à la fois, avant de se replier le long de son corps.

C’est un oiseau qui vole, à quelques mètres seulement au dessus d’elle. Au fil de sa marche et du chemin qui tourne parfois à droite, puis à gauche, et en allant toujours vers l’avant, la jeune femme voit bien que l’oiseau poursuit la même ligne qu’elle. Il ne la devance pas, il ne la suit pas.

C’est comme si, pour traverser cette nuit, la jeune femme et l’oiseau devaient suivre la même route. Et sans que cela se dise en mots, elle aime la présence de ce compagnon nocturne. Elle ne se sent plus seule. Et lui, il semble heureux de l’accompagner. Parfois, il bat des ailes un peu plus vite, s’abaisse pour se rapprocher d’elle, avant de s’élever à nouveau pour retrouver toujours la même altitude, ni trop proche, ni trop éloignée d’elle.

Combien d’heures dure cette marche nocturne qui n’est plus solitaire ? La jeune femme l’ignore, cela n’a pas d’importance. Le chemin se poursuit, et la jeune femme remarque qu’il s’élève doucement. Bientôt, elle dépasse la cime des arbres. Elle arrive en haut d’une colline, son étrange ami auprès d’elle.

Alors, au loin, les premières lueurs du levant s’élèvent depuis les crêtes endormies du vallon. La jeune femme lève la tête, l’oiseau est toujours au-dessus d’elle. À un moment, quand la lumière a gagné encore, elle remarque que les yeux de l’oiseau sont fixés sur elle. Son regard est noir, ils brillent d’un éclat de lumière blanche qui va jusqu’à elle.

Cette lumière est comme un éclair, qui la traverse tout entière, et qui se mêle maintenant aux premiers rayons du soleil qui, peu à peu, dévoilent un pays nouveau devant elle. Des vallées, des forêts, des lacs et des collines s’étendent à perte de vue.

Jamais elle n’a vu autant de paysages différents et réunis à la fois. Là encore, elle sent son cœur qui bat. Elle ne connaît pas cette terre nouvelle, et pourtant elle a le sentiment de l’avoir toujours connue, de l’avoir contemplée dans de nombreux rêves. Son pas accélère légèrement, elle pénètre dans ce nouveau monde en frémissant de bonheur.

Elle lève alors les yeux pour rechercher son compagnon de nuit. L’azur encore pâle est pur et vide. Il n’y a aucun nuage, aucune présence dans le ciel. L’oiseau a disparu.

La jeune femme continue alors sa marche. Peut-être le retrouvera t’elle ? Peut-être pas, l’histoire ne le dit pas. Mais ce qu’elle sait, c’est que tout a changé, grâce à cette belle nuit, grâce à ce pays merveilleux qui s’offre à elle.

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