07 Mai Jeudi de l’Ascension
La marée était remontée jusqu’en haut et la recouvrait presque en entier. Autant que l’ombre du soir, les rochers alentours qui protégeaient la crique du large projetaient déjà leur ombre sur elle.
Une douceur indicible avait gagné mon coeur tandis que je descendais les premiers lacets du chemin de ronde qui me ramenaient silencieusement vers l’une des plages si chères à mon enfance. Je n’allais pas jusqu’en bas. Je m’arrêtais à quelques mètres et m’appuyais contre une barrière de bois qui, probablement, servait autant à baliser le chemin qu’à retenir l’écoulement de la pente.
Tout était là, les lieux étaient merveilleusement intacts. La plage avait gardé le même sable fin et doré et j’entendais un rire doux et silencieux. C’étaient les vaguelettes de la mer qui s’effritaient sur la grêve. C’était aussi celui, me disais-je, du père heureux de voir le retour de son enfant prodigue. Les lieux de mon enfance m’accueillaient et confirmaient, dans leurs beautés bouleversantes, la sérénité retrouvée dans mon coeur depuis que je m’étais enfin rendu à l’évidence : celle d’une profonde et unique correspondance entre eux et moi.
Cette évidence s’étalait sous mes yeux. Dès l’enfance, puis l’adolescence vécue ici, parfois avec douleur et toujours avec poésie, j’avais tout, et je ne le savais pas encore. J’avais pourtant su dès l’enfance profiter des beautés de ces espaces où terre, mer et ciel se mêlaient et se renouvelaient toujours : ici, j’avais chaque jour sous mes yeux le mariage de l’infini et de la liberté, et c’est aujourd’hui que je le comprends mieux.
L’émotion qui étreint mon coeur est fine et légère : je pense à mes parents et je saisis mieux pour la première fois le sens profond de ce qu’ils ont voulu me transmettre, eux qui étaient si attachés à Dinard, à Saint Briac, à Saint Malo et aux bords de la Rance, au point que leurs corps y reposent aujourd’hui. Si les quotidiens n’étaient pas toujours faciles, je sens aujourd’hui que je rejoins le meilleur d’eux-mêmes : Leur intention de vivre et de transmettre ce paradis qu’ils avait déjà commencé, même s’ils n’ y arrivaient pas tous les jours. Ma gratitude envers eux n’a jamais été plus grande que ce soir.
Rejoindre le meilleur de l’autre… Quoi de plus beau, de plus profond et, en des moments aussi purs que celui-ci, quoi de plus intense ?
Sur la plage, un couple s’amusait à jeter à l’eau un bâton que leur chien rapportait avec forts mouvements, courses, nages et aboiements joyeux. Leur jeu avait commencé avant ma venue, il se prolongeait encore lorsque je repris ma marche sur le chemin de ronde pour surplomber les falaises de la Vicomté. Un peu plus loin au dessus de Dinard, le soleil semblait s’être fixé dans la félicité de l’instant : la première journée estivale de l’année ne finissait pas et miroitait sur la baie en millions d’éclats de lumière, de chaleur et d’amour.
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