Deux femmes qui pleuraient

18 Juil Deux femmes qui pleuraient

Deux fois le même jour, au cours de la même marche, mon chemin a croisé celui de femmes qui pleuraient. À chaque fois, ce n’est qu’au dernier moment que j’ai vu leur détresse. À chaque fois, j’ai ressenti l’élan de me rapprocher d’elles et de tenter, d’un regard, d’un geste ou d’un mot, une consolation. À chaque fois, je n’ai rien fait.

Au cœur de cet été qui bat à plein, au milieu des rues de Saint-Malo grouillantes de vacanciers si souvent laids et bruyants, je me faufilais pour regagner la maison. Les foules m’oppressent au point de toujours presser le pas pour, au plus vite, les laisser derrière moi, en haut d’une rue peu connue qu’elles ignorent.

Le visage de ces femmes me poursuit. Toutes les deux étaient assez jeunes, aucune ne dépassait la trentaine. La première marchait seule, un téléphone en main. Lorsque je l’ai vue, j’ai d’abord cru qu’elle riait. L’éclat de sa voix m’a fait comprendre qu’au contraire, elle criait et ne retenait pas ses larmes. Elle ne me remarqua pas, et pourtant il ne m’avait fallu que quelques secondes pour comprendre. J’aurais voulu m’arrêter, aller au devant d’elle… Elle était jolie, elle aurait pu s’effrayer que c’était à sa beauté que j’en voulais. Des sentiments contradictoires m’ont empêché, je crois aussi que cette même peur m’a traversé.

La seconde était accompagnée de deux autres jeunes femmes qui la devançaient en respectant, visiblement, la distance que le chagrin imposait. Son pas était moins rapide, son visage silencieux. Sa bouche était entrouverte dans ce qui, de loin encore, m’avait semblé un sourire et qui n’était en fait qu’une crispation de douleur.

Pourquoi ne me suis-je pas arrêté ? J’aurais pu apporter à chacune de ces femmes la douceur et le réconfort qui ont cogné dans ma poitrine. Je m’en suis empêché, par respect ou par peur, honteux aussi que je puisse à l’une comme à l’autre révéler les tendresses dont mon cœur défaille pour toutes les femmes.

La pensée de ces deux visages ne me quitte pas. Quelles ont été les causes de ces souffrances dont j’ai été le témoin ? J’ai tout imaginé… Le décès, ou l’annonce d’une maladie grave d’un parent… Une dispute, ou la rupture avec un être aimé… Présente en moi, la même expression d’effroi et d’abandon que j’ai saisi à chaque fois. C’est sans doute la tristesse et l’élégance en même temps que j’y ai vues. Elles m’ont étourdi de leur gravité, qui a empêché le pauvre que je suis d’agir.

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