Avez-vous lu “La Confusion des Sentiments” de Stefan Zweig ?

09 Août Avez-vous lu “La Confusion des Sentiments” de Stefan Zweig ?

Je continue mes détours hors littérature française contemporaine, plus longuement que d’habitude. Ce retour vers Zweig était précieux, à plus d’un titre.

J’aime profondément cette maîtrise de l’écriture et des émotions, cette description si fine des traits et des psychologies humaines, et encore plus le déroulement de ses récits qui coulent souvent comme des rivières calmes où l’on sent pourtant qu’ils cachent des mystères et les torrents plus sauvages des grandes passions humaines qu’ils finissent toujours par révéler.

Je reconnais cette vie de l’esprit et cette attirance pour les mots qui m’appellent si fortement :

j’avais, en une heure de temps, renversé le mur qui jusqu’alors me séparait du monde de l’esprit et je me découvrais, moi, passionné par essence, une nouvelle passion qui m’est restée fidèle jusqu’à aujourd’hui : le désir de jouir de toutes les choses de la terre par le truchement de l’âme des mots.” (p.46)

Il y a de multiple détails et des tournures de phrases si simples qui traduisent pourtant si bien les mouvements de nos émotions, comme :

ce regard agressif rentra précipitamment sous ses paupières.” (p.127)

Oui, une écriture apparemment simple, sans emphase et sans lyrisme, qui révèle souvent discrètement ce que nous sentons sans pouvoir toujours l’exprimer :

Et ce bleu éclatant (celui des yeux du Maître) montait du fond des prunelles, s’avançait, pénétrait en moi ; je sentais que cette onde ardente qui émanait d’elles traversait mon être moelleusement, s’y répandait largement et donnait à mon âme une joie vaste et étrange : toute ma poitrine était brusquement élargie par le jaillissement de cette puissance et je sentais s’épanouir en moi une grande fête.” (pp.114-115)

Et encore, ce passage très fort qui dit si bien ce que je tente si souvent de dire maladroitement lorsque je m’emporte contre les ravis de la crèche, les benoîts du contentement convenu ou bourgeois, qui lèchent parfois aussi les îles de l’art ou de la littérature de leurs eaux médiocres et repues :

Depuis le soir où cet homme que je révérais entre tous m’ouvrit son destin, comme on ouvre un dur coquillage, depuis ce soir-là, qui date de quarente ans, tout ce que nos écrivains et nos poètes nous racontent d’extraordinaire dans leurs livres et ce que les pièces de théâtre dissimulent dans les coulisses, comme étant trop tragique pour la lumière de la scène, me paraît enfantin et sans importance. Est-ce par indolence, lâcheté ou insuffisance de vision que tous se bornent à dessiner la zone supérieure et lumineuse de la vie, où les sens jouent ouvertement et légitimement, tandis que, en bas, dans les caveaux, dans les cavernes profondes et dans les cloaques du coeur s’agitent, en jetant des lueurs phosphorescentes, les bêtes dangereuses et véritables de la passion, s’accouplant et se déchirant dans l’ombre, sous toutes les formes de l’emmêlement le plus fantastique ? Sont-ils effrayés par le souffle, ardent et dévorant, des instincts démoniaques, par la vapeur du sang brûlant ? Ont-ils peur de salir leurs mains trop délicates aux uclères de l’humanité, ou bien leur regard, habitué à des clartés plus mates, est-il incapable de les conduire jusqu’à ces marches glissantes, périlleuses et dégouttantes de putréfaction ? Et pourtant, l’homme qui sait n’éprouve pas de joie égale à celle qu’on trouve dans l’ombre, de frisson aussi puissant que celui que glace le danger et, pour lui, aucune souffrance n’est plus sacrée que celle qui par pudeur n’ose pas se manifester.” (pp.167-168)

 

édition Bibliothèque comospolite Stock,

 

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1commentaire
  • de Sagazan
    Posted at 14:10h, 09 août Répondre

    Tout cela me donne bien envie de relire Zweig, lu trop jeune…. D’autant que je viens de regarder (grâce à mon accident, fracture du bassin) « Sonate d’automne », un chef d’œuvre de Bergman, qui n’est pas sans accointances avec ce que le lis ici, côté justesse des sentiments.

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