01 Août Saint Malo et Dinard
Quelques minutes suffirent à William Williamson pour boucler sa valise. Le strict nécessaire, sans oublier la pile des livres du moment. Il irait à l’hôtel des Thermes, sur le Sillon, qu’il aimait pour la vue sur la baie depuis la chambre, et la piscine d’eau de mer. Il choisit la voiture, comme à chaque fois, même s’il était seul et que le train serait certainement plus reposant. Mais il y avait tellement d’endroits là-bas qu’il aimait aller retrouver et dont les distances lui imposeraient, sinon, les désagréments du taxi ou des transports en commun.
La région de Saint-Malo était celle des racines familiales, et de ses grandes vacances d’enfance baignées de soleil, de plages et d’eau de mer. C’était le pays d’origine de l’arrière-grand-père maternel. Le curé du village l’avait remarqué parmi les enfants de la paroisse, pour son intelligence vive, sa curiosité étonnante et des capacités de travail hors de la moyenne. Il le dota d’une bourse et l’inscrit au collège des Cordeliers à Dinan. Quelques années plus tard, son bachot en poche, le petit Breton quittait définitivement sa terre natale et, en même temps, sa condition paysanne. Il alla s’installer en Haute Normandie, fit fortune dans le commerce de gros en quincaillerie et développa ses activités avec un succès remarquable dans toute la Seine Maritime, qui s’appelait à l’époque la Seine Inférieure. Le point d’orgue fut atteint quand il ouvrit à Dieppe un grand magasin de détail portant son nom et bientôt réputé dans la ville sous l’enseigne des « Établissements Marchand ». Un peu plus tard, il parachevait son oeuvre en s’attaquant à la plus grande ville de Normandie : il créait une succursale à Rouen dont la gestion revint à son fils préféré, son cadet, le grand-père maternel de William Williamson.
Il eut une nombreuse descendance, suscitant la fierté et la vénération que cette réussite avait légitimement suscitée. Ses tantes ou sa mère lui parlait souvent du patriarche à la longue barbe blanche qu’elles avaient connu dans leur petite enfance, au cours de fêtes de familles mémorables qui se tenaient aux Vertus, la maison de famille perchée au dessus du port de Dieppe, et dont les pelouses fuyaient vers la mer. William Williamson s’imaginait toujours le grand père sous les traits d’un des deux frères Halambique, les jumeaux du Sceptre d’Ottokar. Sa mère avait eu pour lui le même respect, mêlé de crainte et de froideur, elle si étrangère à sa famille, l’artiste étourdie et égarée chez les bourgeois réalistes et commerçants. Son mariage, son mari provenait de la vieille noblesse bourguignonne, l’en éloigna encore davantage.
L’aïeul avait gardé la ferme des origines, située dans les terres à mi-chemin entre Lancieux et Ploubalay, à quelques mètres d’une plage couronnée de pins gigantesques, au sable blanc très fin qui cédait vite à la vase grise d’une immense grève qui donnait sur la baie de Saint-Jacut. Dans son enfance, William Williamson se souvenait qu’elle était encore habitée par une cousine, qui était restée paysanne comme les ancêtres. Ou plutôt exploitante agricole, selon l’expression autorisée.
Sa mère la visitait parfois, un peu comme on fait ses charités. En fait, elle avait du mal à dissimuler une légère condescendance envers la lointaine parente bretonne. Il est vrai que le contraste était fort entre la bourgeoise citadine et son humble cousine qui roulait les r de bonjour jusqu’à au revoir, sans oublier aucun des autres mots de la journée, tout en émaillant ses phrases de patois breton. Elle ne devait quitter son tablier que pour dormir ou, une fois par semaine, la messe du dimanche. Ce tablier était étrangement assorti à la toile cirée de la table de la cuisine, croisé de carreaux d’un bleu marine de porcelaine, qui étaient encadrés de bordures au blanc épais et rassurant. On racontait ainsi dans la famille que Jeannette avait passé son enfance sur la terre battue, et que le rez-de-chaussée n’avait été recouvert d’une dalle en béton puis de carrelage que dans les années soixante, au moment de l’installation de l’électricité et de l’eau courante. William Williamson se demandait s’il fallait y trouver la cause de la démarche claudicante de Jeannette, qui n’avait pas dû marcher sur des sols plats pendant longtemps. Il aimait aller chez elle, comme s’il allait à la découverte d’une peuplade reculée décelant quelques précieux secrets des origines. Il se souvenait d’odeurs fortes et indéfinissables, qui semblaient provenir de failles cachées dans le sol de la ferme, du jardin ou de la basse cour, et qui remontaient vers lui les senteurs de temps très anciens.
C’est dans la basse cour du Talard qu’il découvrit, en compagnie de son frère, les joies du poulailler. Il ne comptait plus les poules ou les lapins que, par élans d’humanité, ils libérèrent en allant ouvrir les grilles de leur cage. C’était pour leur offrir une vie meilleure. Avec le bruit de leurs cris ou de leurs rires, les caquètements dans la cour, ils n’avaient plus qu’à s’enfuir, sous la désapprobation de leur mère et les colères noires de la cousine qui leur courait après en poussant des jurons en langue inconnue, ce qui transformait leur peur en totale hilarité.
Depuis sa naissance, ses parents louaient des maisons de vacances les mois de juillet à Saint-Briac, juste de l’autre côté du Frémur. Ils y retrouvaient toute la tribu familiale. Sa mère comptait cinq soeurs et un frère, et tout le cousinage était disséminé aux alentours, à quelques encablures de la ferme ancestrale, de Lancieux à Saint-Lunaire. Il passait un mois de bonheur entre la plage, la pêche aux crevettes, les excursions courageuses dans les rochers infectés d’Indiens menaçants qui guettaient le passage du dernier des Mohicans. Et il y avait le bateau de son père. Le voilier à cabine, remonté en cale sèche les hivers dans le hangar des soeurs Bugault, au petit port du village, avait son mouillage d’été réservé, au port du Béchet, d’année en année. On allait caboter dans tous les recoins de la côte d’Émeraude. Ces lieux devinrent ainsi ceux de son adolescence, surtout lorsque que toute la famille s’installa à Dinard pour y vivre toutes l’année. Son père était venu ouvrir un bureau de fret maritime, c’était sa dernière affectation avant la retraite. Cette terre était celle de toute sa jeunesse. Même après le départ pour des études à Paris, il était toujours revenu revoir ses parents dans leur maison des bords de la Rance.
Cette fois-ci comme à l’habitude, son voyage fut rapide. Il continuait d’ignorer les limites de vitesse, sûr de son flair à détecter les radars ou les contrôles de gendarmerie. Jusqu’alors, cela avait toujours marché. Lorsqu’il conduisait, il avait la sensation de rejoindre les règles de l’apesanteur. Plus il allait vite, plus il flottait dans quelque chose de surréel, rien ne pouvait lui arriver. Comme ce soir de fin de semaine, l’air était plus léger, les contraintes de l’ordinaire s’effaçaient. Peut-être que ses angoisses connaîtraient le même sort ?
Une fois arrivée à l’hôtel, la nuit avait été calme, bercée au petit matin par le ressac de la marée montante. Quelques bons bols d’air du large l’avaient bien réveillé. Son premier choix fut d’aller sacrifier au rite qu’il respectait à chaque fois qu’il venait ici : faire le tour de tous les lieux qui avaient compté. Saint Briac, le balcon d’Émeraude, avec toujours un arrêt de quelques minutes sur la plage de la Salinette, qui offrait la plus belle vue sur toute la baie : Lancieux à l’est, coiffée par l’Islet, les Ehbiens en face et derrière, si la visibilité s’y prêtait, Saint-Cast, le Cap Fréhel flanqué, un peu sur sa gauche, du fort Lalatte. Il passait ensuite par Saint Lunaire et Dinard, avec ses trois pointes dressées en face de Saint Malo comme une fourche aux piques tendues vers la cité Corsaire, pour mieux s’en défendre : la pointe de la Malouine, la pointe du Moulinet et celle de La Vicomté, le tout relié par le chemin de ronde, qui doit son nom aux douaniers qui, autrefois, menaient la guerre aux contrebandiers et pirates qui venaient de la mer.
Ce fut ensuite le retour de l’autre côté du barrage qui sépare les deux rives, en passant par le village de Saint-Jouan. Il longeait les bords charmants de la Rance, c’est là où ses parents avaient vécu la fin de leur vie. Le village en lui-même n’avait pas de charme, il faisait de plus en plus figure de banlieue sud de la ville de Saint Malo, qui ne cessait de grandir.
William Williamson égrenait un à un les grains du chapelet des souvenirs, des jeux, des plages, des écoles, des maisons occupées, d’abord celles louées pour les vacances d’été et qu’il avait presque toutes oubliées et qu’il ne pouvait situer précisément, puis celles habitées à l’année. Il y en avait eu plusieurs, ils avaient beaucoup déménagé. À chaque fois, William Williamson tentait de retrouver son temps perdu. Cela lui paraissait si proche et si sécurisant: c’était bien d’avoir un passé, quand le présent était si fuyant.
Pour finir il alla voir ses parents, couchés dans le sable du cimetière de Saint Jouan. C’était le début de la soirée. Il faisait sombre, la lumière s’était repliée avec la marée qui, à quelques centaines de mètres au nord, avait découvert la nudité des rochers. Il les visualisait ensemble. Il leur parla quelques minutes. Il étendit les mains au dessus d’eux, les paumes ouvertes à la recherche de leur bonne énergie. Il avait un sentiment étrange d’être en ce lieu : personne ne savait où il était. Il ne ressentait rien qui lui indiqua une réponse ou un signe de ses parents. Lui enverraient-ils, de quelque part, leur soutien ?
À la mort de son père, il avait eu avec lui, croyait-il, une vraie communication outre-tombe. Cela avait duré quelque mois. Celui-ci lui transmettait enfin la sérénité et la protection qui lui avaient tant manqué de son vivant. Avec sa mère qui venait de mourir, le rapport dans l’au-delà était moins simple: peut-être parce qu’il était beaucoup plus proche d’elle, beaucoup plus fusionnel. Il était son petit dernier, celui qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Il avait entendu cette expression mille fois dans son enfance, qui gonflait à chaque fois son petit coeur d’amour et de fierté. Chair de sa chair. Il l’aimait plus que tout. La perspective de sa mort l’avait longtemps terrorisé, avant que l’âge et la maladie ne la submergent.
Si peu de distance avec elle, elle trop en lui lui trop en elle.
Après, pas de contact. Seuls ses monologues et ses inquiétudes propres, qui lui faisaient tant lui ressembler.
William Williamson venait demander à ses parents une nouvelle naissance. Il était à la moitié de sa vie mais cette vie avait à peine commencé. Qu’ils l’aident à naître une nouvelle fois, délivré de maux qui le poursuivaient depuis trop longtemps et qui, ces derniers jours, l’avaient terrassé. Là où ils étaient, peut-être avaient-ils les lumières à lui envoyer, qui lui révéleraient enfin les principes pour mener à bien son existence. Il est si dur de savoir comment faire pour vivre.
Il repartit presqu’en courant du cimetière. C’était la première fois qu’il venait ici après la mort de sa mère, trois mois plus tôt. On avait descendu son cercueil dans le glissement de sangles épaisses contrôlées par les quatre employés du service funèbre. Ils l’avaient déposée à côté de son père. L’aspect intact et inchangé du tombeau l’avait étonné, c’était deux ans après l’enterrement de son père. Lui reposait bien là, reposant au fond, en bas à gauche. Cela avait quelque chose de rassurant. À la demande de son frère, un des employés avait nettoyé la surface de son cercueil des quelques poussières et des feuilles mortes qui le recouvraient. Il avait vu que la plaque, où avait été gravé son nom, était déjà entamée par la rouille.
Pour la première fois, et depuis longtemps – sa mère avait été de plus en plus absente vers la fin – il pouvait leur parler à tous les deux en même temps, ils étaient à nouveau réunis, pour de bon, au moins ici, et peut-être ailleurs aussi.
Ils lui manquaient. Il les imaginait maintenant enfermés et gisants dans ces boîtes en bois. Il pensait à leur corps dont il était issu. Il lui suffirait de gratter un peu le dessus de sa main pour voir à la rougeur laissée sur sa peau qu’il était en vie. Eux dormaient à ses pieds. Sa mère, dont il aimait caresser les ongles et sentir leur vernis glisser sous la pointe de ses doigts. Il aimait encore évaluer la longueur de siens en les pressant doucement contre les siens. Il desserrait lentement, et regardait son empreinte encore creusée au bout des doigts de sa mère et des siens.
Beaucoup de choses avaient basculé en si peu de temps. Son frère et lui avaient vendu la maison familiale. Il était devenu un étranger de ce coin de planète qui était le seul où il s’était jamais senti chez lui.
Ses sentiments étaient confus. Il tanguait entre la nostalgie et le constat amer de la fuite du présent. Où était-il ce réel insaisissable ? Comme si tout n’avait été que jeu d’ombres. Les choses qui étaient vraiment sûres, elles étaient là autour de lui, ses parents et son enfance. Elles étaient toutes passées, il n’avait rien su saisir.
Tout s’échappait, se diluait comme l’eau au creux d’une main inutilement serrée, qui finissait toujours par s’enfuir jusqu’à la dernière goutte. Il aima ce cimetière, dont le sol était curieusement recouvert du sable marin des plages de Saint-Jouan.
La tristesse l’avait accompagné une bonne partie de la journée. Le soir venu, il voulait déjà rentrer à Paris, revenir dans la vie, le mouvement, le bruit. C’étaient peut-être des illusions, mais elles recouvraient le trouble qu’il ressentait.
A l’hôtel, il s’installa au bar de la Passerelle avec quelques livres. Le Sillon sous ses yeux rappelait les promenades familiales, ponctuées par la sacro-sainte tasse de thé ici-même, souvent à la table qui était juste à droite de la sienne : elle était la mieux située, la vue était imprenable. Aujourd’hui, elle était occupée par un couple et leur petit garçon qui jetait ses jouets sur la moquette, sous les fauteuils, et s’esclaffait de joie à chaque fois que son père feignait de ne pas les trouver.
Aucune de ses lectures ne lui plaisait, et il avait souvent du mal à trouver un bon livre. Fallait-il alors toujours retourner aux mêmes écrivains? Il ne pouvait s’y résoudre, il cherchait toujours du côté des auteurs contemporains, mais la pioche était rarement bonne. Cela faisait longtemps que Weyerganz n’avait rien écrit de nouveau. Il ne pouvait lire non plus que les classiques. Ne fallait-il pas être moderne, absolument moderne comme le scandait Rimbaud ?
Il prolongea l’après-midi dans la piscine, seul à admirer les petits groupes de baigneurs venus entre amis ou en famille. La plupart devait vivre ici à l’année. Il leur enviait cette existence qui lui paraissait plus simple : savoir où on habite et savoir y rester. Il regardait de plus près les enfants, en se disant qu’il y a deux ou trois dizaines d’années, il était l’un d’entre eux. Il vivait ici. Ses journées étaient marquées du même rythme que les leurs, dans la même lumière, le même calme discret d’une ville moyenne de province. Le monde était certes vaste au-delà, et Saint-Malo ne manque pas de grands voyageurs partis à sa découverte. Mais tous ceux qu’il côtoyait semblaient attachés à ce bout de terre arraché à la mer et défendu par des remparts épais. Ils savaient s’en satisfaire. Tandis qu’il rêvait déjà d’ailleurs, de capitales étrangères, de foules et de mouvement.
Le repos du corps n’est pas celui de l’âme. Il n’arrivait pas à trouver la paix dans une telle nostalgie, même s’il se laissait prendre comme à chaque fois aux charmes de cette côte si belle, si austère et envoûtante. Il décida d’avancer son retour de quelques heures, il valait mieux qu’il rentre à Paris dès le lendemain matin. Il préférait encore le bruit à ces miroirs silencieux et tristes. Il était attaché à ces traces de son passé, cela le rassurait de les savoir ici, dans ce lieu dont la beauté ne pouvait que magnifier ses propres souvenirs. Mais il ne savait quoi en faire. S’abandonner à la mélancolie n’était pas encore de son âge. Déjà, son présent était bien flou, il n’allait pas le combler par les illusions des souvenirs.
Il était pourtant en des lieux où la virginité de son enfance devait le protéger : ici, les troubles vécus à Paris ne se renouvelèrent pas.
La nuit de samedi à dimanche fut à nouveau calme, sans rêves particuliers. Les maux de têtes, les vertiges n’avaient pas reparu. Sans changer malgré tout sa décision de rentrer plus tôt, il retourna sur le chemin de ronde de la Vicomté, du côté de Dinard. Ce serait le dernier pèlerinage, juste avant de partir. C’était le sanctuaire de son adolescence : il montait à la cime des arbres et restait des heures, dans le silence et le vent, entre ciel et terre et mer, à se faire bercer au rythme des balancements des feuillages qui l’accueillaient. Il s’imaginait à l’époque que la beauté était un grand oiseau qui viendrait le cueillir et l’emmener découvrir la vie et le monde, comme Niels Holgersson. Il se prenait un peu pour Chateaubriand, le Grand Bé n’était pas loin, juste dissimulé derrière la pointe d’Aleth.
Cette fois-ci il n’alla pas grimper, mais il pressa sa paume contre l’écorce d’un ou deux arbres centenaires, il ne savait plus très bien lequel il escaladait. Ils ne se laissaient plus reconnaître facilement, avaient-ils vieilli à ce point ? Ce dernier pèlerinage lui avait fait du bien, même s’il ne pouvait s’empêcher de moquer cette habitude qui le contraignait aux mêmes rituels à chaque fois qu’il venait ici. Tel le sorcier qui entonne les chants millénaires et danse en rond autour du feu pour faire revenir les esprits. L’image était un peu désuète et pathétique. La seule chose qui lui venait alors, à part la nostalgie sentimentale et inutile, c’était l’envie de déguerpir au plus vite et d’aller retrouver le tumulte. Il voulait s’arracher à cette douceur du passé, à son charme engourdissant et trompeur. L’adolescent n’était plus là. Et il n’était plus permis de rêver, le temps était devenu trop précieux pour cela.
Sans le trafic et les bouchons vers Paris des dimanche soirs, son retour aurait été évacué encore plus vite que l’aller de l’avant veille.
Cette arrivée à Paris, était-ce comme s’il venait se jeter pour de bon dans la gueule du loup ? Et avec autant de précipitation et d’impatience cette fois.
Il fit un rêve dans la nuit du dimanche au lundi. L’avion qui devait l’emmener en voyage survolait son arbre de l’embouchure de la Rance, on en faisait descendre une échelle qui s’approchait de la branche où il était assis. Malgré des efforts désespérés, il n’arrivait pas à la saisir. À ce moment, un « autre lui » assistait avec effroi à la scène depuis le hublot de l’avion. Il s’était alors réveillé, pour fixer cette image dans le carnet placé au bord du lit. Le lendemain matin, il chercha à comprendre. C’était à la fois triste et désespérant, mais il voulait y voir aussi un signe positif : l’avion, les voyages, c’était bien actuel, comme s’il allait aujourd’hui dans la bonne direction mais qu’il ne parvenait pas encore à prendre à son bord l’enfant qui implorait le ciel de son arbre.
La nuit, il entendit les mêmes bruits habituels, les mêmes coups de klaxon. La vie continuait. Il voulait croire qu’elle allait reprendre sans les mêmes manifestations de la semaine passée. Il était si mal armé contre le monde et ses délires. Quelques souvenirs pour résister, cette beauté entrevue dans l’enfance mais qu’il ne savait pas où aller chercher pour la retrouver et en faire son bouclier.
Il n’avait jamais pu se remettre complètement de cette idée que la beauté le protégerait du monde. Il était de son côté. Il l’avait toujours tellement désirée, ressentie, recherchée. Cette beauté dont il avait compris, plus tard, qu’elle était si fragile, si vulnérable, mais parfois si miraculeuse aussi.
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