Un beau visage impassible

30 Sep Un beau visage impassible

C’est son visage impassible, au delà de la tristesse, dont je me souviens encore. Le jeune homme était assis au bord du rocher, ses jambes pendaient déjà dans le vide. Il ne bougeait pas, l’absence de mouvement comme d’une quelconque expression sur son visage me glaça. Comme s’il n’attendait plus rien, et que la vie l’avait déjà abandonné.

Je vis un crocodile qui arpentait le même rocher. Il marchait à la verticale comme un homme, fixait l’horizon tranquillement et sa longue silhouette grotesque se promenait sans alerter les autres passants.

Pétrifié, l’homme solitaire était perdu dans des pensées vides. Le crocodile vint alors se placer derrière lui et s’immobilisa. C’était probablement un signal que le jeune homme attendait : Il se leva lentement, et recula d’un ou deux pas vers le monstre. De ma position, je pouvais voir leurs deux ombres se confondre.

D’un coup de patte, le crocodile renversa le jeune homme qui tomba à l’eau, bientôt suivi par l’animal. Dans un silence écrasant, je vis la grande gueule s’ouvrir et saisir l’homme par le cou pour l’enfoncer vers le fond. L’eau était si transparente qu’on pouvait voir le fond plat et sablonneux, quelques mètres plus bas. Le jeune homme ne se débattait pas, et je voyais toujours son visage dont les traits exprimaient encore ce même désespoir qui m’avait tant frappé.

À la surface remontaient les bulles d’air et les vagues des mouvements de ces deux corps qui semblaient enlacés dans une danse lente et macabre. Bientôt, le crocodile relâcha son étreinte, et je vis le corps inanimé du jeune homme remonter à la surface.

J’étais alors moi-même dans l’eau. En quelques brasses, je me rapprochais de lui. Je me souviens avec effroi de ce que je voulais vérifier. Je retournais le corps qui flottait sur le dos. Je reconnaissais le visage de celui qui s’était laissé emporter, et je ne pouvais m’empêcher d’en admirer la beauté. Et je constatais, soulagé, qu’il ne respirait plus et que la vie avait bien répondu à son attente en le quittant sans d’apparente douleur.

Je prenais alors conscience que je n’étais qu’à quelques mètres du crocodile qui était resté tapis au fond de l’eau. Celui-ci pourrait maintenant s’en prendre à moi. Sans plus attendre et en tentant de surmonter la panique qui montait en moi, je m’écartais du cadavre et nageais vers le bord le plus rapidement possible.

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1commentaire
  • de Sagazan
    Posted at 14:49h, 05 octobre Répondre

    Quelle imagination ! Quelle efficacité pour la coucher sur le papier ! J’ai cru lire une BD ! Merci !

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