Pique-Nique au Luxembourg

21 Sep Pique-Nique au Luxembourg

Là un peu à droite…

… non, plutôt à gauche…

… encore un peu plus…

… oui, c’est ça, pile-poil !

Madame suit des yeux les ordres de son mari, qui orchestre la manoeuvre avec une l’autorité et le naturel d’un vrai maréchal. Sans mot dire, elle soulève et déplace ici et là l’un de ces fauteuils métalliques tout de vert peint. Elle est allée le capturer dans l’allée la plus proche du parc qui, engourdi sous le soleil de ce samedi d’été, sombre dans le silence de midi.

C’est une question de soleil, j’ai compris. De bonne exposition, pardi ! On va bronzer ! On prendra sûrement des photos pour immortaliser la scène !

Qu’on soit en plein jardin du Luxembourg, sur des pelouses interdites au public, qu’à cela ne tienne * !

Cette fois-ci c’est bon. Monsieur est parti chercher un second fauteuil, tandis que Madame étale dans l’herbe une couverture en polar rouge vif, très seyante avec le vert tendre et profond de la pelouse, et assortie à l’élégance très sportswear du couple. J’entends bientôt les premiers bruits des couverts et des assiettes qu’on étale sur la nappe, de la bouteille qu’on ouvre et du premier glou-glou qui vient bientôt emplir de triomphe les verres en plastique.

Devant l’étalement de cette indécente banalité, je lève les yeux au ciel. Le vent soulève à peine les feuillages lourds des arbres pleins qui ne bronchent pas non plus, tandis que le ciel, majestueux d’azur et de continents blancs, s’est élevé plus haut. Je pense à ce jardin, aux poètes qui l’ont hanté, à la beauté, au bon goût de ce quartier merveilleux de Paris. Et je contemple la satisfaction de mes deux contemporains, qui parlent fort comme s’ils étaient dans leur salon-salle à manger. C’est sans doute leur manière de célébrer la journée du Patrimoine. Manqueraient plus qu’ils invitent leurs voisins, me dis-je…

Mais heureusement, ce n’est pas la sonnerie de leur porte d’entrée qui carillone, c’est un sifflet qui retentit. Le képi au clair et le doigt tendu en direction de la sortie, c’est l’un des gardiens du jardin qui vient enfin de surgir d’un taillis. Il fond sur les importuns aussi vite que mon soulagement me caresse délicieusement l’échine.

* : À ce sujet, mon récent emménagement m’a permis de retrouver quotidiennement mon jardin parisien préféré, et je suis frappé de surprendre les nombreuses incivilités des barbares qui ne respectent ni les consignes ni les beautés du lieu.

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