14 Mai Mes Philippines
C’est à croire qu’elles ont colonisé le quartier. À chacun son tour.
On les croise tout le temps. Pourtant, ce n’est pas faute qu’elles soient discrètes. Elles sont plutôt petites et menues, face à nos gabarits d’occidentaux bien nourris. Et puis, elles ne nous voient jamais. Ce n’est pas faute, à chaque fois, que je cherche leur regard, un petit sourire tout prêt au coin de mes lèvres. Mais elles ne me voient jamais, elles ont compris qu’elles n’existaient pas pour nous, ou si peu. Elles marchent les yeux dans le vide.
Leurs mains ne sont pourtant jamais vides. Poussettes bourrées de bébés blancs, sacs remplis de courses, chiens tirants sur leurs laisses, sorties d’écoles avec enfants piaillants qui ne sont pas les leurs, ou marche tout simplement rapide pour gagner le lieu de travail… Elles ne marchent jamais pour rien.
Leur regard est ailleurs. Pas dans ces rues grises au trottoir noir lavé par les pluies, ces appartements chics et sévères, cette vie d’esclaves modernes… Sans doute là-bas, où il fait plus beau, où la terre est chaude, où le ciel est bleu.
Elles m’émeuvent, ce sont mes dames du 7ème trottoir. Cela fait longtemps que je les ai remarquées. En plus, le week-end, c’est avec leurs familles qu’elles reviennent. Elles ne sont pas rancunières. Alors, c’est la fête. Des populations joyeuses envahissent les allées et les gazons qui débordent de la Porte de la Muette, tout d’un coup joyeuse et bruyante de leurs rires et de leurs transistors, enfumée par les barbecues sauvages aux parfums âcres et dérangeants. N’ont elles pas eu le temps, au cours de leurs courses laborieuses, de repérer les bons coins où elles pourront, au premiers rayons, s’égayer avec leurs enfants, leurs maris, leurs frères et leurs soeurs ? Pour quelques heures, c’est la colonie qui s’inverse et qui s’amuse.
J’ai parfois honte d’être qui je suis, mais je me rattrappe en émettant des bouffées de tendresse pour mes petites soeurs philippines. Je les vois, je les aime, mes asiatiques. Cela me rachète un peu de bonne conscience.
Ce soir, je suis humanitaire ou, mieux, humain.
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