23 Fév Lohengrin
Suis-je en pleine régression ? Moi qui m’étais juré de ne plus jamais tomber dans le piège de Wagner, et qui le redisais ici même, il y a quelques jours.
Alors, que se passe t’il ? Est-ce le château de Menthon, qui s’élève au dessus du majestueux, triste et merveilleux lac d’Annecy, que je contemplais encore tout à l’heure ? Il paraît, me disait-on, que c’est lui qui a inspiré à Ludwik la construction de Neuschwanstein. J’avais remarqué ses clochetons, ses tourelles, sa ligne fantastique et presque douteuse, qui jette sur le lac des charmes troublants d’un autre temps. Je reviens en train à Paris ce soir, et je n’ai pu résister à l’appel intérieur qui me fait écouter maintenant Lohengrin.
Je bascule, et j’ai le sentiment de me baigner dans mon propre jus. Celui d’une adolescente fébrile et fiévreuse, où je me submergeais des harmonies élevées et entêtantes de Wagner, des beautés de Visconti et, bientôt, des mystiques celtiques. Wagner n’avait-il pas emprunté les quêtes du Graal à ma Bretagne d’adoption ? La divinisation des mythes humains me tentait, Niestzche n’était pas loin. Je tâtais des chemins de la connaissance, de la kabale, des frères savants de l’âge des Lumières, je lisais les rites initiatiques des grands illustres qui, avant moi, avaient voulu comprendre. La formule du « co-naître » de Claudel me fascinait. Je croyais que l’élévation dans la connaissance ferait de moi un être meilleur et un peu supérieur. Je lisais tout, je choisissais d’étudier la philosophie.
Je mélangeais un peu tout, puis j’ai oublié, je me suis désintéressé. Trop de théories, pas assez de vie, je me suis détourné des livres pour essayer d’aller un peu au devant de la vie, qui ne venait pas à moi.
Et puis, Wagner n’était-il pas un imposteur ? Le personnage était peu intéressant, n’est-ce pas ? Surtout, sa volonté d’un art total me paraissait prétentieuse. Au siècle du néo-gothisme, ne tentait-il pas la synthèse entre la musique et les mythes, qu’il unissait en opéras interminables ? Bayreuth ne devenait-il le centre d’une secte de riches élites en mal de prétextes esthétiques ? J’eut l’intuition, et la suffisance sans doute, d’interrompre notre idylle.
Je n’adhère pas plus aux mythes, je n’y suis jamais arrivé. Mais le talent, le génie musical de l’Enchanteur reste entier. Qui, mieux que lui, sait créer des montées en plateau, des plaisirs lyriques qui aboutissent en de véritables orgasmes sonores ? Avec des armes redoutables, telles ces envolées christiques qui m’avaient si tôt donnée l’impression que le magicien dialoguait avec Dieu.
Je ne suis guère étonné de le retrouver au coeur de l’hiver. Tout est lenteur, lourdeur souvent, dans ce sang qui charrie des passions sombres et profondes, lentes et lourdes. Mais je sais toujours que tout n’est pas là, pas pour moi. Je passerai à autre chose dès que le printemps sera venu. Fini de régresser et me complaire dans mon hiver et mes rêves adolescents. Promis.
dans le train, entre Annecy et Paris
Pas de commentaire