14 Nov Les clowns
Eux aussi ils se fendent le visage en deux pour montrer toutes leurs dents et tout leur amour… Je les vois, ils frétillent comme des gardons, remuent érotiquement les épaules pour mieux se faufiler et s’introduire dans l’un des glorieux apartés qui se tiennent dans le grand salon.
Politiques, hommes d’affaires, diplomates, has-beens affairés, fonctionnaires, il y a de tout… Le mieux, c’est encore de faire semblant de les écouter et d’attendre la fin. Surtout, ils parlent pour ne rien dire. Encore, quand c’est réellement drôle, ça passe encore.
Par exemple, Wojciech M., patron du plus grand groupe de médias du pays. Il est fort. Une vraie bête de scène. Je ne sais pas comment il fait, à chaque fois il me bluffe entièrement. Comment fait-il pour savoir tant d’anecdotes, et toutes les ressortir de toutes les couleurs, drôles, grotesques, sidérantes, mais toujours à son avantage ? Il vient quand-même de nous parler deux ou trois fois de son Think Tank très sympa, où ils ne sont que quinze, aux USA. Il ne comprend pas très bien pourquoi lui, si humble serviteur, peut se retrouver parmi quinze grands patrons américains, mais il fait tout pour que toi tu comprennes… Quand-même, le patron de la CIA qui vient passer ses vingt minutes de grand oral, ou le secrétaire d’état à la défense, tu comprends…
Luc F., c’est un autre genre. Le grand patron de la grande chaîne de magasins d’alimentation. Tout le monde connaît et vient y faire ses courses. Lui, très cool, qui s’excuserait presque du succès qu’il se construit jour après jour à la force du poignet ou, plutôt, de grands coups de langue appliqués et généreux : c’est un beau parleur. Un look très étudié, et très raté. Jusqu’à la moumoute qu’on croirait collée, tout sonne faux, comme s’il voulait cacher la banalité sidérante de ses traits sous un petit peu de laideur supplémentaire. Lui, surtout, c’est le vocabulaire. Un tas de concepts, de mots généreux, un vide sidéral qui tournoie aussi vite que ses pupilles exaltées…
Des clowns. Ce soir, j’ai ma fierté avec moi, pour une fois. Ce n’est pas pour rien que j’accepte soir après soir ma remise en question quotidienne, et que je jette des ponts de mots pour trouver des nouveaux mondes… Je crois que cela m’a rendu un peu plus lucide, et plus humble en même temps.
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