22 Oct Faut pas rester avec les jaloux
Sa crinière blanche resplendit, la mise en plis date certainement de ce matin et les belles boucles fleurissent avec entrain son front de soixantenaire : Jacqueline, l’appelleront nous, Jacqueline donc ne cesse de clamer et de répéter autour d’elle : « Faut pas rester avec les jaloux ».
En face d’elle, il y a Huguette. Campée fière, elle recueille d’une joie bruyante les délicates confidences de Jacqueline. Elle est solide et bien bâtie, Huguette. On comprend qu’elle a choisi d’affronter gaillardement la décrépitude qui rode. Elle ne va pas s’en laisser compter.
Le propos ne doit pas être triste. Elles déchirent l’air de rires gras et stridents qui font fuir les nuages du samedi midi. Elles se tiennent les côtes, se prennent par les bras. C’est sûr, ces deux-là s’aiment de bon coeur.
« Mon ami, il vient du Loir et Cher, il est veuf comme moi. Y a pas de problème de jalousie entre nous. Faut pas rester avec les jaloux » redit Jacqueline, qu’il n’y ait plus de doute.
En arrière plan, deux ombres tournent les épaules timidement, sans faire de bruit et sans interrompre. Ce sont les seconds rôles. Il doit y avoir le veuf. Et l’autre, le compagnon d’Huguette.
« Chinon, Blois, Chateauroux… » : Elles commentent la densité des veufs au kilomètre carré avec une autorité de préfet de région. Sous l’oeil terne des petits vieux, Jacqueline martèle ses anecdotes en tambourinant le balcon généreux d’Huguette. Elle lui enfonce un doigt sur un sein, ou sur un autre, quand l’anecdote mérite plus de poids. Pas de jaloux là non plus. Les corps, à ces âges, n’ont vraiment plus rien de sacré.
C’est alors que Stanislas descend l’une des rues pavées de la vieille ville, des provisions pleins les bras. La mèche collée au front, mais le pas lourd et heureux. Le seigneur du marché de Loches et ses porteurs derrière, aussi chargés que lui des achats aux étals de ses très chers.
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