Deux silhouettes

20 Mai Deux silhouettes

À chaque fois c’est pareil. Il se pince les lèvres, tandis que les pneus crissent encore sur le gravier qu’ils contrôlent mal, que la voiture commence à gravir la montée raide, lentement, toujours trop lentement. Ces deux silhouettes, en contre-bas, derrière la haie et le muret de pierres, elles restent comme plantées, et il voudrait qu’elles disparaissent plus vite, plus discrètement, puisqu’il ne peut les emmener avec lui.

Ne doit-il pas rejoindre Paris, ou peut-être même plus loin ? N’a t’il pas maintenant d’autres seins où reposer sa tête, d’autres épaules à étreindre ? Il a sa vie, quelque part, là-bas. Comme si, cruelle réalité, elle était différente de la leur. La vie, c’est pourtant le même courant de souffle et d’énergie qui circule en nous tous, non ? Et surtout avec eux.

Cette image, ce couple déjà marqué par l’âge, aux silhouettes déjà moins certaines, un peu voutées…  Cette scène, combien de fois ? Comme à chaque départ, ils l’ont accompagnés au dehors, en longeant le jardin du haut. Avec lui, ils ont tourné vers la façade nord de la maison où s’ouvre le chemin vers la route, au bas de la pente. Ils se sont arrêtés, près de sa voiture, et sont restés l’un près de l’autre, tandis qu’il installait rapidement ses bagages, s’asseyait, tournait les clés et fermait la portière tout en ouvrant la vitre, pour un dernier au-revoir.

À chaque fois c’est pareil. Il a bien fallu partir en marche arrière d’abord pour mieux passer le porche, puis éviter les branches de chaque côté, emprunter les quelques mètres de raidillon qui rejoignent le bitume en maintenant le pied ferme sur l’accélérateur.

Il aura juste le temps de tourner la tête en leur direction, pour leur adresser, la gorge un peu nouée, un au-revoir qui ne peut être le dernier. La main gauche esquissera un salut qui se veut toujours léger et rassurant. Eux l’auront suivi du regard, attendant ce dernier signe, et s’évanouieront dans le vert de la haie qui, maintenant, défilera en les protégeant de l’extérieur.

Les années ont passé. Tout s’en est allé. La maison, son jardin et ses hortensias, la pelouse qui tombait dans la mer. Les silhouettes aussi. Leur ligne a fini par se confondre là, auprès de la façade la plus fleurie de toutes. Ils n’ont pu résister davantage à la continuité de ses départs, ni à celle du temps. Elles sont là, au même endroit, mais il ne les voit plus que dans la buée de sa mémoire.

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