08 Avr Déraillement
La dépêche vient de tomber… Sèche et laconique, elle annonce que le train corail de 17h11 vient de dérailler, entre Saint-Malo et Dol de Bretagne. Le lieu précis de l’accident, le nombre éventuel de victimes, les causes du déraillement, nous n’en savons rien. Une seconde brève qui vient d’apparaître sur le fil de l’AFP nous prévient que le préfet tiendra une conférence de presse à 19h30.
D’ordinaire, je ne prête pas attention à de telles nouvelles : Je ne suis pas aux chiens écrasés, et les faits-divers ne m’intéressent pas.
Et pourtant… Le train de 17h11… Combien de fois l’ai-je pris ? Je quittais mes tristes parents, ils enfouissaient leur vieillesse à l’écart, dans un val du bord de Rance et regrettaient toujours mes départs. Autant que moi, tiraillé entre le retour à Paris et à la vie et l’attirance nostalgique et quasiment mystique aux beautés des rives du fleuve.
Je me revois encore… Assis prêt de la fenêtre, avalant des yeux les paysages et les prés-salants qui matérialisaient les distances entre le départ et l’arrivée, jusqu’à la grosseur du Mont Dol qui annonçait l’apparition prochaine de Dol, et prédisait celle plus mystérieuse du Mont Saint Michel, aux aguets, juste derrière l’horizon.
Je suivais les fils électriques qui filaient le long de la ligne. Leurs trajectoires serrées qui se distendaient à l’approche de chaque poteau : elles se creusaient d’abord pour se relever ensuite à l’asencion des sommets de bois qui les projetaient plus loin en sarabandes continues et infinies.
Mon visage collait la vitre, les vibrations du rail et de la vitesse faisaient trembler mes joues. La butte du Mont Dol venait de passer sur ma gauche et le train n’entamait pas la décélération habituelle qui précédait le premier arrêt du trajet. Dol de Bretagne approchait pourtant, je crois que je voyais déjà au loin les gigantesques silos de blé qui veillent en éclaireurs sur la bourgade.
Ce qui s’est passé ensuite, je ne m’en souviens plus. J’ai subi le même sort que le personnage de la “Planète X”, mon premier roman écrit à l’âge de dix ans : Je crois que je suis mort.
Celui qui tient dans sa main la dépêche, une main qui pend au bout d’un bras qui semble être le mien, je ne suis plus certain de le reconnaître. Est-ce moi ? Ou la succession de mes êtres qui se sont succédés en tranches que les années ont superposé ? Il ne comprend pas. C’est comme s’il avait vu la scène en rêve, où s’il l’avait vécu. Avant de dérailler.
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