05 Nov De l’autre côté
Je m’endormais. J’étais surpris par la volupté du lit qui, peu à peu, enfouissait mon corps dans un confort chaud et généreux. Ma tête, mes épaules et ma poitrine étaient heureuses d’être aussi lourdes, et j’avais la sensation de ne cesser de creuser l’épaisseur de l’oreiller et des draps qui m’avaient accueilli et qui révélaient des abîmes de douceur que je ne soupçonnais pas.
Je continuais de plonger dans le silence des préparatifs du rêve qui plantait la scène et esquissait les images : Les premières, celles qui me venaient, j’avais appris à les reconnaître, parce que leur fixité, leur répétition ou leur insistance soudaine signifiaient que je commençais à basculer, toujours avec le même plaisir. Comme si l’activité du cerveau s’interrompait pour un temps, en libérant enfin les facultés de mon esprit, et toute la mémoire des sensations que j’avais accumulées pendant la journée.
Pourtant j’avais dû me réveiller puisque je venais à nouveau d’ouvrir les yeux. Mon sommeil avait été si lourd que j’avais la sensation d’avoir traversé le sommier, de me trouver de l’autre côté du lit. Mais, plutôt que de contempler les rayures du parquet, je surplombais une forêt immense. Elle était peuplée d’arbres vigoureux et riches en feuillage vert et intense. À plusieurs reprises, je clignai des yeux pour m’assurer que ce spectacle était bien devant moi. Je voyais, mais je sentais et n’entendais plus rien, et je ne pouvais pas parler non plus, comme si une enveloppe de chair avait caché tous mes sens au spectacle qui se révélait sous moi. Seule ma vue fonctionnait à merveille, je ne me trompais pas. J’allais au coeur de la nature, à la genèse du monde.
Maintenant je marchai aux pieds des géants qui montaient si loin, que la lumière du ciel pouvait à peine les traverser et éclairer mes pas. Pourtant, en contemplant la scène, en suivant du regard un chemin qui se dessinait dans la terre, devant moi, et qui menait jusqu’aux troncs les plus imposants, je compris qu’il me fallait choisir l’un de ces arbres qui se dressaient aussi haut que les sequoias des forêts californiennes, si haut que je distinguai à peine leur feuillage à des dizaines de mètres au-dessus de moi.
Dans le désarroi de mes jours, j’avais interrogé le monde et celui me faisait la grâce de me répondre en songe.
Je comprenais que j’allais trouver l’arbre, le bon, le mien. J’irai embrasser chacun d’entre eux, lui ouvrir mes bras et ma poitrine. Je reconnaîtrai le bon dès que je sentirai son coeur battre contre le mien. Alors, je pourrai remonter vers les hauteurs, à la chaleur de sa sève, à la force de son écorce et à la vitalité de son feuillage, et je parviendrai à son faîte. Alors, je n’aurai plus qu’à me coucher au lit de la canopée, et je regarderai les étoiles. Celles-ci scintilleraient vers moi et il y aurait, au bout de quelques instants, une multitude de visages, de regards et de sourires, qui peupleraient le ciel. Il me suffirait de reconnaître le mien.
Ce serait mon visage, mes yeux et mon sourire.
Je me suis réveillé. Je suis allé faire face à un miroir. Celui était transfiguré. Jamais je n’avais été aussi beau, et cette beauté ne me quitterait ni ne s’altérerait jamais.
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