21 Jan Corps
Je fais semblant de ne pas voir. Je sens bien son regard qu’il lance parfois vers moi avec un reste d’inquiétude. Un vestige de pudeur, comme le témoin d’une humanité devenue soudainement dérisoire. J’ai bien vu qu’il était nu. Peu importe, ce n’est plus à ce niveau que cela se joue. Le pyjama en papier vert chlorophyle ne cache rien, mais je m’arrange pour qu’il ne s’en rende pas compte. Tu comprends, je t’aime. C’est l’essentiel. Je suis à côté de toi, impuissant, idiot mais présent. Je te tiens la main. Je sens la vie qui irrigue tes doigts fatigués par la douleur. Je tente de passer un peu de mes éternelles bonnes ondes au travers de leur épiderme sec et épais. Je me rassure en même temps. Mon dieu que je t’aime. Et qu’il est étrange que je ne puisse te l’exprimer qu’en de tels moments…
Une autre fois. J’avais treize ou quatorze ans. Je m’étais inventé une crise d’appendicite, il fallait bien qu’on s’occupe de moi. Le chirurgien de la clinique privée de Dinard avait du talent, autant que d’argent. Il avait su appuyer suffisamment fort et rapidement sur le côté droit de mon bas ventre que je n’avais pu retenir un cri, de douleur ou de surprise. Cela avait fini de convaincre mes parents qu’il faudrait m’opérer. C’était l’été. Un ballet d’infirmières et d’aides soignantes qui défilaient dans ma chambre à demi nues, sous mon regard fervent, fidèle et enfiévré. Il y en avait une qui n’avait pas son pareil pour se pencher sur moi. Elle vérifiait mes pansements ou mes perfusions, tandis que je plongeais dans son décolleté fantastique. Ses seins se creusaient et se gonflaient avec l’amplitude d’un séisme qui me vrillait de bonheur. Je ne sais pas pourquoi, je pensais à la mer, aux flux et aux reflux de sa marée qui, là-bas, sont les plus puissants du monde. Même de la couleur des baleines de son soutien gorge, je me souviens. Elle fut une grande bienfaitrice.
Je suis de retour dans la chambre de mon frère. Il paraît qu’il revient de loin. C’est ce que je viens d’entendre. Ils sont quatre ou cinq dans sa chambre, en procession. Je ne connais pas d’univers plus hiérarchisé que celui-là. Tous derrière le ponte. Celui qui détient ta vie entre ses mains et qui vient faire la tournée des lits et des maladies, et délivrer l’elixir. Tous et toutes, surtout. Elles sont deux, internes ou externes, peut m’importe. Elles tentent toutes les deux d’être le plus proche de leur leader, au point de le toucher. Je sors de ma torpeur. Est-ce ma solitude qui m’abuse, ou un réel appétit sexuel que je sens en elles ?
Je ne sais… Les hopitaux, les corps malades et en lambeaux… La vie qui naît ou qui renaît, la mort qui rode… C’est à médecine, disait-on, que sont les plus belles célébrations des corps, les orgies, comme on les appelle.
Je regrette d’avoir fait philo. Elles, elles sont jeunes. Je les trouve belles, je les envie.
Louis de Sagazan
Posted at 20:31h, 21 janvierUn très beau texte, émouvant. Pensées ferventes, Louis