L’écureuil et les petits mots (conte)

31 Déc L’écureuil et les petits mots (conte)

C’est cet écureuil qui est venu me prévenir. J’étais perché loin du sol dans les branches de mon sommeil, car il faut toujours que je m’installe dans les hauteurs d’un arbre pour aller au pays des rêves. J’ai alors senti sur mon nez et sur mes joues un doux chatouillement qui a déclenché une petite pluie d’étoiles dans mes yeux. C’était le panache généreux de sa queue rousse. C’est comme cela qu’il fait à chaque fois qu’il a un message à me faire passer, je suis donc habitué, et je sais qu’il est temps de faire une pause dans mes nuits pour lui prêter attention.

J’ai trouvé la force de soulever mes paupières lourdes, j’ai entrouvert les yeux. La nuit était d’un bleu d’encre. Deux petits points noirs étaient fixés sur moi, c’était mon écureuil qui me regardait. L’éclat d’une lumière inconnue des hommes se dégageait de ses pupilles sombres. Je comprenais qu’il avait quelque chose d’important à me dire. J’ouvrais donc les oreilles de mon cœur, celles qui peuvent entendre uniquement quand on dort, parce qu’il n’y a aucune pensée pour les déranger, ni aucun bruit pour les recouvrir.

Et voici ce qu’il m’a dit, dans son langage d’écureuil, celui que tout nos cœurs peuvent comprendre quand nous sommes prêts à écouter.

– je te salue mon ami, j’espère que ta nuit est bonne. J’espère que tu as pris assez de forces dans ton sommeil pour recevoir le message que je suis venu t’apporter.

Je penchais et relevais la tête le plus doucement possible pour ne pas effrayer mon petit compagnon. Par ce hochement, je lui disais oui. C’est l’un des meilleur langage que les hommes peuvent employer avec les animaux pour qu’ils les comprennent : avec leur corps.

Tout étonné, j’attendais de savoir ce que le petit écureuil était venu me dire de si important, au point d’avoir interrompu ma nuit. Car il n’y a rien de plus sacré que le sommeil d’un enfant, les écureuils le savent très bien. Comme tous les autres animaux aussi.

– La nuit dernière, j’ai participé au Grand Conseil de la Forêt. Nous étions tous réunis, tous les animaux qui peuplent les ciels et leurs grands nuages, les arbres aux lourds feuillages, avec leurs troncs à l’écorce épaisse qui s’enfonce dans les profondeurs de la terre, tous les animaux encore qui se nichent dans les buissons, les taillis et les haies, ou ceux qui courent sur les pelouses et les prés.

Dans ma petite enfance, j’avais lu des histoires, celles de Rudyard Kipling par exemple, qui décrivaient de telles assemblées nocturnes. Mais je croyais qu’elles n’existaient que dans les contes. Je n’avais pas encore compris que les contes n’inventent rien. Ce qu’ils racontent est toujours plus vrai et plus réel que la vérité et la réalité des hommes.

– Hier, c’était notre nouveau conseil, comme nous le tenons à chaque pleine lune. Nous étions rassemblés pour vivre ensemble un moment de partage et d’échange comme nous avons tant besoin de le faire régulièrement, pour prendre des forces, avant de reprendre nos vies dans le monde compliqué des hommes. Et il a été question de toi.

Cette fois, je sursautais de surprise, au point de perdre l’équilibre et de tomber de la branche de mon arbre.

– Il y avait de nombreux oiseaux, des biches et des chevreuils, des renards et des lapins, des marmottes et belettes, il y avait même quelques hérissons et une grosse grenouille, et bien-sûr des écureuils comme moi.

Je voyais tous ces animaux défiler dans ma tête, les images se multipliaient, mon cœur battait de plus en plus fort à mesure que j’écoutais mon petit messager.

– Nous étions tous réunis en silence, au cœur de la forêt, au pied du beau chêne, celui qui s’élève plus haut que tous les arbres. Nul ne bougeait. Nous attendions que le vent de la nuit dégage la lune des nuages qui avaient endormi la terre. Le moment est venu. Sa lumière argentée est venue se poser sur chacun d’entre nous. Puis, elle a éclairé la grande branche que le chêne déploie vers le sol. C’est à ce moment que nous l’avons vu apparaître.

J’écarquillais mes yeux, j’ouvrais grandes mes oreilles, pour mieux comprendre. De qui parlait mon écureuil, de quelle apparition ?

– La Fée de la Nuit était là, sur la branche. Dans sa grande robe blanche et lumineuse, elle reflétait l’éclat de la lune au point d’éclairer l’obscurité comme en plein jour. Nous étions tous éblouis, mais sa lumière ne nous aveuglait pas, parce qu’elle était remplie de douceur et d’amour.

Je devenais impatient… je voulais savoir ce que je faisais dans cette histoire…

– Nous n’avions pas besoin de parler, la Fée de la Nuit savait déjà ce que nous avions chacun à lui dire. Elle nous a regardé longuement, son sourire révélait toute sa grâce, elle s’attardait sur chacun d’entre nous. C’était un moment merveilleux. Je sentais circuler en moi une énergie et une lumière nouvelles, que nous partagions tous ensemble avec la fée. C’était l’amour qui nous réunissait.

Je me sentais gagné par cet amour dont me parlait le petit écureuil. Mais il n’avait pas fini son récit. Je comprenais qu’on allait arriver au cœur de son message.

– La Fée a pris la parole. Elle nous a rappelé quel était notre rôle à nous, les animaux : celui de protéger la nature, et d’adoucir le cœur des hommes. Elle a félicité chacun d’entre nous pour toutes nos bonnes actions. Elle parlait de la beauté et de la bonté de la nature à laquelle nous contribuons, chacun à sa manière. Elle ne parlait jamais des choses mauvaises, des bagarres parfois entre nous, ou des tempêtes qui déchirent les nuages et dévastent tout autour d’elles. Je crois qu’elle faisait comme si celles-ci n’existaient pas.

– Et puis, à un moment, quand je pensais que la réunion allait s’achever et que la Fée de la Nuit allait s’envoler dans un rayon de lune, elle s’est mise à nous parler d’un petit homme. Nous étions tous très étonnés, car la fée nous parle rarement des hommes.

– Il y a un petit garçon tout blond, celui qui aime marcher dans la forêt, qui aime s’arrêter pour écouter le chant des ruisseaux. Je sais que vous l’aimez, parce qu’il sait voir votre beauté. Il suit le vol des oiseaux dans le ciel et la marche des biches dans les bois, il écoute le murmure du vent dans les feuillages, il monte dans les arbres pour rester souvent assis longtemps sur une branche, pour se fondre complètement dans la nature.

Le petit écureuil reprit :

– J’écoutais la fée parler de ce petit homme, et je l’ai reconnu. Son visage est venu flotter devant moi. Il avait des boucles d’or et des yeux d’azur, en bas de ses joues fleurissait un grand sourire. C’était toi.

Je l’entendais, et je n’étais plus surpris moi-même. Au fil de la description que la Fée avait donné, je m’étais déjà un peu reconnu.

– la Fée nous a alors donné une mission, a-t-il continué. Elle nous a dit :

– Je vous donne le pouvoir des petits mots. Chacun d’entre vous, vous allez recevoir un mot particulier, un seul mot, chargé de beauté et de sens, un mot simple mais qui peut changer le cœur des hommes. Et dès que vous croiserez le petit garçon aux cheveux d’or, vous profiterez de ce moment de silence qui se produit toujours dans la rencontre entre lui et vous. Quand il vous regarde, qu’il vous contemple, comme s’il cherchait à comprendre quelque chose qui lui échappe mais dont il connaît l’importance.

– À ce moment, expliqua la fée, vous allez lui révéler votre mot. Vous n’avez pas besoin de savoir de quel mot il s’agit pour chacun d’entre vous. Il est destiné à aider les hommes parce que sans les mots, eux ils ne peuvent pas comprendre. Ce petit mot, il se révèlera au petit garçon par votre simple présence, et parce qu’il pourra le recevoir, même s’il ne comprendra pas toujours tout de suite. Mais avec ce mot, et avec tous les autres mots qu’il va recevoir de vous tous, il va pouvoir composer des phrases et des paroles. Avec eux, il va créer des poésies, des histoires et des contes qui pourront convertir les hommes à la beauté du monde, de la nature, des ciels et des arbres, et de tous les animaux, de chacun d’entre vous.

– À ce moment, reprit l’écureuil, j’ai compris que la Fée avait fini son message. J’avais fermé les yeux pour l’écouter de tout mon cœur. Et quand je les ai réouvert, elle n’était plus là, elle avait disparu.

– Depuis cette nuit, conclue t-il, je t’ai cherché. Et tout à l’heure, je t’ai trouvé. Je suis alors monté dans l’arbre, pour te réveiller, pour te raconter l’histoire de la Fée, et pour te révéler le mot que je suis venu t’apporter. C’est le premier de tous les mots que nous devons te transmettre, et avec lesquels tu vas pouvoir écrire des beautés pour le cœur des hommes.

Je me demandais comment l’écureuil allait me révéler ce mot, sous quelle forme celui-ci allait m’apparaître. Les écureuils ne savent pas écrire, et ils ne prononcent pas les mots des hommes. Comment allait-il faire ?

– Ne t’inquiète pas, me dit-il. Ferme les yeux, et écoute les battements de ton cœur. Pense à moi, qui suis tout près de toi. Regarde comment la forme de mon petit corps se mêle aux beautés qui bercent ton cœur. Écoute alors la petite voix qui s’élève en toi et qui monte à ton esprit. C’est le mot qui arrive. Le premier d’une longue et belle série de mots qui vont changer ta vie.

Je fermais les yeux, mon corps tout entier était habité par une paix merveilleuse. Et peu à peu, j’entendais un murmure. Il ressemblait à ma propre voix, celle que j’entends parfois quand je parle aux oiseaux.

Je me réveillais. J’étais dans mon lit. L’arbre de mes rêves s’était enfoui dans ma nuit, l’écureuil à la queue rousse et la Fée à la robe blanche et lumineuse s’étaient évaporés. J’étais encore à moitié endormi. Mais je le savais, le premier mot m’était apparu. C’était celui que m’avait apporté l’écureuil. Pour ne pas l’oublier, je prenais la feuille et le crayon qui sont toujours sur ma table de nuit. Et je l’écrivais, et je comprenais en même temps qu’il contenait tous ceux que j’allais découvrir par la suite.

Et ce mot, c’était celui-ci : « Reçois ! »

Voilà ! C’est la fin de mon histoire, mais je sens bien qu’elle est plutôt le début d’une autre. Celle des mots, et de toutes les histoires que je vais maintenant essayer de te raconter. Je compte beaucoup sur tous mes amis animaux pour m’aider, et pour m’apporter tous les mots, ceux qui vont me permettre d’écrire, et peut-être d’émerveiller ton cœur comme le mien. Moi, je ne crois pas avoir en moi la capacité d’écrire sur la beauté et l’amour, alors que j’en ressens tellement le besoin.

Mais je crois avoir compris que le mot que m’a apporté l’écureuil est le plus important, pour commencer, pour trouver la confiance et la beauté.

« Reçois ! », est-ce que cela ne veut pas dire que tout est donné, et qu’il suffit d’accueillir celui qui vient, au moment où il vient, qu’il soit un homme, une femme, un animal, un arbre, ou un mot ?

À ton tour, je t’invite à recevoir tout ce qui est le plus près de toi. Tu verras, il y a toujours beaucoup d’amour et de beauté tout près de toi.

Pas de commentaire

Laissez un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.