Le petit garçon et le grand arbre

12 Nov Le petit garçon et le grand arbre

Si je vais te raconter cette histoire, c’est parce que je l’ai vécue d’une manière tellement étrange, et tellement belle aussi. Ce qui s’y est passé a soulevé mon cœur et depuis, je n’avais qu’un désir : celui de la transmettre plus loin, afin qu’elle continue d’émouvoir les petits enfants.

Pourtant, les années ont passé. Parce que j’étais trop occupé par les soucis que les grandes personnes ont l’art de s’inventer, j’ai attendu longtemps pour me décider enfin à l’écrire. Mais ça n’est pas très grave, il n’est jamais trop tard.

Moi-même, j’étais un petit garçon lorsque j’ai vécu ce que je vais te dire maintenant. Je n’avais pas plus de six ou sept ans. C’était à la fin d’un bel après-midi d’été, à la campagne, chez mes grands parents où j’étais venu pour les vacances.

Il faisait tellement chaud que j’étais allé me protéger du soleil, à l’ombre d’un arbre qui siégeait en majesté au coeur du jardin. Sur le sol tendrement recouvert de mousses profondes, je m’étais assis pour me livrer à l’une de mes occupations préférées à l’époque : regarder les branches et les feuillages lourds qui, au dessus de moi, s’élevaient vers le Ciel.

Dès que je contemplais un arbre, mon imagination galopait. Il était un dieu descendu des voûtes célestes. La nuit, il tissait des liens invisibles avec les étoiles, pour raccrocher la Terre dans leur course vers l’infini. Ou il était un géant, venu protéger les petits garçons des vents mauvais, des pluies ou des tempêtes.

Cette fois, il avait fait tellement chaud que mon petit corps, fatigué par les jeux, les courses et les rires, m’avait emporté dans une sieste aussi longue qu’inattendue, puisque je ne m’en étais d’ailleurs pas rendu compte…

Car à un moment, c’est un autre petit garçon que j’avais trouvé penché sur moi. Il avait des boucles blondes et des yeux d’azur, de belles joues où se creusaient de minuscules fossettes, aux coins de ses lèvres qu’un grand sourire ouvrait vers moi. Je ne l’avais ni vu, ni entendu arriver.

Si ma surprise était grande, je me souviens surtout que mon ravissement l’était encore plus. Ce petit garçon, qui avait visiblement le même âge que moi, m’était inconnu. Dans son regard et son sourire, la bonté et la douceur étaient si intenses que seul un cœur d’enfant comme le mien pouvait les accueillir et les comprendre, sans se poser des questions qui sont si souvent inutiles. 

Le petit garçon ne parlait pas. Il me regardait en silence. Je crois qu’il attendait quelque chose de moi. Et moi, je me sentais entièrement attiré par lui. Comme si plus rien d’autre ne comptait : les jeux, les courses, les rires… Peu à peu, je sentais un grand silence s’installer en moi. Et lui continuait de me fixer de ses grands yeux. Jusqu’au moment où il finit par les fermer. Je compris alors que j’avais répondu à son attente, en ouvrant grand mon cœur à sa présence et au silence qui nous entourait.

Je fermais les yeux à mon tour.

Plus rien, plus de vent, ni de chants d’oiseaux, ni de feuillages qui frémissent dans l’air. Plus rien qu’une paix immense venue m’embrasser, et toute la Terre avec moi. 

Les secondes se transformaient en éternités. Elles me parcouraient de plus en plus lentement, au rythme de mon souffle qui, je le sentais, pénétrais dans toutes les parcelles de mon petit corps d’une lumière tendre et dorée.

Combien de temps étions-nous resté ainsi dans le silence et le noir de nos paupières fermées ? Je ne le sais pas. Car à un moment, je senti un léger pincement sur mon bras.

C’était le petit garçon. Il s’était rapproché un peu plus de moi. Il avait voulu que j’ouvre les yeux. Sans prendre la parole, il m’envoyait un signe. Il avait relevé la tête vers l’arbre contre lequel j’étais appuyé. Son regard invitait le mien à le suivre.

Il se redressa, tout en me faisant comprendre, par quelques gestes de ses mains, que je n’avais pas à bouger, mais simplement à voir et à entendre tout ce qui allait se passer.

Il se dirigea vers l’arbre dont il gravit les premières branches. Son agilité et sa rapidité étaient telles que je compris alors que c’était du même arbre qu’il était venu tout à l’heure.

Il continuait de monter. Et moi avec lui ! Par un enchantement que je ne comprenais pas mais qui me semblait tout à fait naturel, je l’accompagnais vers les hauteurs, alors que mon corps était encore en bas, assoupi sur le sol, au pied de l’arbre.

Je voyais ce que le petit garçon voyait, et en même temps je le voyais monter aux branches. Je comprenais que mon regard portait sur tout ce qui se passait avec lui et autour de lui. C’était extraordinaire, et je ne m’en inquiétais pas. Je savais que j’allais vivre quelque chose de très important pour toute ma vie.

Parfois, le petit garçon s’arrêtait dans sa course vers le Ciel. Il se retournait vers moi, c’est comme si nos yeux se parlaient. Il me disait qu’il fallait continuer, monter encore, et ne surtout pas avoir peur. D’ailleurs, je n’avais pas peur.

Nous étions maintenant au sommet de l’arbre. Il était si haut que rien, aussi loin que porte l’horizon, ne le dépassait. La Terre était au-dessous de nous, tandis que les premiers nuages blancs, ceux qui annonçaient la venue du soir, commençaient de glisser dans l’azur.

Si le vent sifflait mollement, je sentais que c’était pour ne pas m’effrayer. Comme pour nous bercer, ses petits souffles chauds faisaient balancer légèrement la cime où nous étions suspendus. Je n’avais jamais été aussi près du Ciel et des étoiles, dont certaines commençaient à scintiller.

À nouveau, le petit garçon portait son regard sur le mien. Cette fois, la douceur qui ne l’avait jamais quitté s’estompait. Je voyais naître dans ses yeux une gravité qui m’étreignait le cœur.

À ce moment, après avoir bien serré la fine cime de l’arbre entre ses jambes, le petit garçon leva les bras. Il les ouvrit sur la Terre qui commençait à disparaître dans l’obscurité. Puis, il referma sa main gauche sur son cœur, et porta sa main droite à son oreille droite. Son regard ne me quittait plus, mais il s’était vidé de toute expression.

C’est alors que j’ai vu, monter vers nous, des rayons de poussières luminescentes qui s’élevaient de la Terre. Ils se dégageaient de toute la nature, des collines, des prés, des plantes ou des pierres, des arbres et des fleurs. Arrivés près de nous, ces rayons venaient jusqu’à l’oreille du petit garçon.

Ils le pénétraient, tandis qu’il ouvrait grande sa bouche, comme pour agrandir sa tête et leur laisser plus de place.

C’est alors que j’ai entendu une musique merveilleuse. Des voix, des voix humaines, des hommes et des femmes qui chantaient. Il y avait des milliers, des millions de voix. C’étaient des chants d’amour. J’entendais les appels de tous ceux qui s’étaient endormis depuis la nuit des temps, tous ceux dont la vie s’était achevée sur la terre. Je comprenais que tous, avant de fermer les yeux et le cœur pour la dernière fois, poussaient le même chant. Un chant d’amour et d’étonnement à la fois, pas un cri de peur.

Un chant que n’entendent pas les vivants qui sont aux côtés de ceux qui partent, parce qu’ils sont trop accaparés par leur chagrin, ou par tous les soucis du monde.

Ce chant, seule la nature peut l’entendre et le recueillir. C’est lui qu’elle conserve comme un trésor sacré, en chacune de ses créations, que ce soit les collines, les prés, les plantes, les pierres, les jardins ou les forêts. C’est lui avec lequel elle orne ses immenses espaces, déployant vers le Ciel toutes les beautés des hommes et des femmes qui partent pour l’amour éternel. Ainsi, aucun chant n’est jamais perdu, le Ciel n’en oublie aucun.

Parce que le Ciel ne refuse rien à la Terre. Le Ciel et la Terre sont amoureux l’un de l’autre. Le Ciel répond toujours aux désirs de la Terre.

Maintenant, le courant des rayons de poussière qui enchantaient l’espace ne cessait de monter vers le petit garçon, il formait un flot harmonieux et constant.

J’étais enivré par la beauté et la gravité du moment. Jamais je n’avais entendu le chant d’amour des hommes et des femmes. Jamais je ne l’oublierai.

Toute la nuit, nous sommes restés en haut de l’arbre. J’ai vu courir toutes les étoiles de l’univers, elles brillaient autant que mon cœur qui battait tellement fort.

Jusqu’au moment où les premières lueurs, au loin, sont apparues. Alors, je n’ai même pas eu le temps de voir le soleil. C’est quand il levait son premier rayon de lumière que je me suis réveillé.

J’étais au pied de l’arbre. J’étais seul. Un rayon du soleil couchant était venu caresser mon visage. Toutes les images de mon rêve étaient en moi. Elles s’étaient gravées dans ma mémoire pour toujours.

Contre moi, de chaque côté, deux petits creux s’enfonçaient dans la mousse. C’était les empruntes des pieds du petit garçon, quand il s’était penché sur moi. C’était le signe qu’il y avait dans ce rêve quelque chose de profondément réel et de vrai. 

Ce petit garçon dans mon rêve, je crois qu’il est venu pour que j’apprenne à mon tour à écouter tous mes rêves, à écouter aussi le chant d’amour que la Terre envoie vers le Ciel à chaque instant. Parce que mes rêves sont toujours des chants d’amour.

Quand les rêves sont beaux, quand ils portent de grands désirs, quand ils ne se perdent pas dans l’oubli du temps et que tu les gardes toujours dans ton cœur malgré les années, c’est qu’ils sont vrais. Alors, il faut tout faire pour les réaliser.

Aujourd’hui, j’ai redonné vie à mon rêve, en te racontant l’histoire du chant d’amour des hommes et des femmes. Un jour, très bientôt, ça sera ton tour. Alors, prend soin de tes rêves !

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