Dans les yeux de mon chat

26 Nov Dans les yeux de mon chat

L’histoire que je vais te raconter est vraie, puisque je l’ai vécue. Et si elle va peut-être te sembler incroyable, j’aimerais que tu saches qu’elle l’a été aussi pour moi. Ce qui revient à dire que l’incroyable est possible, puisque cette histoire, comme beaucoup d’autres d’ailleurs dans ma vie, je l’ai vraiment vécue.

Tout a commencé de la manière la plus ordinaire qui soit. J’étais assis sur un canapé, au coin du feu. Je contemplais les flammes qui s’élevaient gaiement dans l’air, et qui réchauffaient joyeusement la maison.

Bien évidemment, c’est à ce moment que mon chat est venu en profiter. Il aime beaucoup la chaleur et le confort, un peu comme les vieilles personnes. D’un saut, il est venu se blottir sur mes genoux. C’est ce qu’il fait souvent, par exemple le matin lorsqu’il vient sur mon lit. Peu importe alors que je dorme ou non. C’est pareil quand je travaille à mon bureau. Il aime se coucher sur la feuille ou sur le clavier. Car pour lui et au contraire de mon chien, dont je te parlerais certainement une autre fois, ce ne sont pas mes humeurs qui comptent, ce sont les siennes.

Mon chat n’est pas très grand, il n’est pas lourd non plus. Il ne me serait pas difficile de le repousser, mais je n’ose jamais. Et cela me vaut parfois des moments inconfortables ou difficiles. Parce que je ne peux plus bouger, ce qui finit par me faire un peu mal partout. Ou parce que je ne peux plus travailler.

Mon chat est très joli. Il appartient à une race ancienne qui vient de Sibérie, au bout de l’immense Russie. Son pelage est d’un gris bleuté très doux. Son corps est fin, prolongé par une queue gracieuse et étrangement zébrée de petites rayures noires. Son port de tête est noble et altier. Et ce qu’il a de plus beau en lui, ce sont ses immenses yeux verts.

Mon chat a des pouvoirs mystérieux. C’est pour cela que je le respecte, et que je n’ose pas le déplacer. J’ignore leur puissance, et j’ignore aussi en quoi ses pouvoirs consistent vraiment. Mais je ne doute aucunement des dons et des talents qui bouillonnent si fortement dans son petit corps. J’en fait l’expérience.

Est-ce parce qu’il a souvent besoin de récupérer des fatigues que lui procure l’énergie magique en lui, j’ai toujours été très étonné qu’il passe la plus grande partie de sa vie à dormir.

Surtout que je ne le vois pas se dépenser tant que cela, dans la journée. Je le vois bien disparaître parfois au fond du jardin. Et si je me demande bien ce qu’il va faire, en se cachant dans les buissons ou en allant à la découverte de nouveaux territoires, il ne part jamais très longtemps. Il revient toujours à la maison. Il m’a toujours semblé qu’il gardait son énergie pour quelque chose d’autre que le monde extérieur. Et lui, il va tout simplement s’endormir dès qu’il le peut. Sur un lit, ou bien sur un de ses coussins préférés, ou encore sur le sol quand celui-ci est réchauffé par un rayon de soleil.

Et là, pendant des heures, il ne bouge plus. Avant, je croyais qu’il dormait. Parce que je ne savais pas ce qu’il vivait. C’était avant de vivre ce qui m’est arrivé à lui.

Ce jour-là, comme je te le disais tout à l’heure, mon chat était venu sur mes genoux. Au début, habitué de ses visites quotidiennes, je n’avais pas particulièrement prêté attention à sa présence un peu gênante, qui m’empêchait de croiser les jambes ou de changer de position.

J’étais occupé à lire un livre, et parfois, je relevais les yeux vers le feu qui brûlait dans la cheminée. C’était la fin d’un après-midi d’hiver, quand la nuit fait si tôt disparaître le jour. L’obscurité avait gagné la pièce, elle aussi ensommeillée, puisqu’aucune lampe allumée ne l’éclairait. Je voyais les grandes flammes s’élever. Elles reflêtaient des lumières dorées et orangées qui jouaient dans la pénombre en créant avec elle des formes mystérieuses.

C’est à ce moment que mon regard se porta sur mon chat. Il n’avait pas bougé, mais il ne dormait pas. De son regard émeraude, il me regardait lui aussi. J’étais frappé par l’éclat de ses yeux, et peu à peu, je me sentais gagné par une force hypnotique telle que je ne le quittais plus des miens.

Quelque chose était en train de se passer, que je ne comprenais pas. C’est comme si tout autour de moi disparaissait, sauf le chat. Les meubles, les murs, les objets, s’étaient effacé. Même le feu dans la cheminée. Comme par magie, il avait été transporté, ou aspiré, et je le retrouvais au fond des prunelles de ses yeux.

J’étais aimanté par mon chat, et même si je n’esquissais aucun mouvement, je sentais que mon visage se rapprochait de plus en plus de lui. Son regard devenait de plus en plus grand, et sa lumière de plus en plus forte.

J’étais illuminé de l’intérieur par une jaillissement d’étoiles scintillantes qui brillaient de toutes les couleurs. J’étais tellement ébloui que je fermais les yeux, et j’étais surpris d’éprouver, sous mes paupières closes, une douceur apaisante. Rassuré, j’ouvrais les yeux.

Mon chat était toujours là, à quelques centimètres de moi, en face de moi. Il me regardait si fort que je pouvais me voir dans le miroir de ses yeux. Et ce que je voyais était incroyable. J’étais toujours le même homme, mon visage n’avait pas changé. Sauf mes yeux, qui s’ouvraient immensément en reflêtant une nouvelle lumière. J’avais les yeux de mon chat, et cela me paraissait, sur le moment, tout à fait naturel.

Je regardais plus loin autour de moi. Et je voyais ce que je n’avais jamais vu auparavant. L’obscurité de la pièce, comme celle de la soirée dehors, avaient disparu. Une lumière magique éclairait tout, et cette lumière se dégageait de mes propres yeux.

Et tout d’un coup, ce que je voyais était extraordinaire.

Il n’y avait plus de nuit, mais un soleil de midi qui éclairait un paysage merveilleux. J’étais au milieu de la terre, et je voyais au loin, jusqu’au bout de celle-ci. À droite, il y avait des montagnes dont les pentes enneigées dévalaient jusque dans les mers d’azur aux vagues blanches, où jouaient les rayons du soleil. À gauche, il y avait des plaines et des forêts profondes, parcourues de rivières qui dansaient dans les herbes hautes. Partout, je voyais des hommes et des femmes, et tous les animaux et les oiseaux de la planète. Tous étaient beaux, heureux et joyeux. Un amour immense rêgnait parmi eux, tandis que je sentais sa chaleur envahir tout mon corps.

J’étais au paradis. Et si je pouvais contempler tant de beautés et de richesses à la fois, c’est parce que je volais. La forme de mon corps n’avait plus beaucoup d’importance : j’étais devenu chat, puis oiseau, tout en restant un homme. J’étais en communion avec le monde.

En même temps, j’avais gardé un coin de mon regard tourné vers l’intérieur de moi. Ne me demande pas comment je pouvais faire tout cela, je ne le sais pas moi-même, tout était miraculeux. Et qui voyais-je, toujours tout près de moi, dans ce regard intérieur ? Mon chat, visiblement à nouveau endormi.

Je comprenais enfin. Il ne dormait pas, il était transporté dans des rêves qui étaient si forts qu’ils devenaient la réalité. Et ce qu’il me permettait, grâce à son énergie et ses pouvoirs mystérieux, c’était de voir le monde de ses rêves avec ses propres yeux.

C’était incroyable, mais c’était vrai, puisque je le vivais.

Combien de temps a duré ce rêve transformé en réalité ?

Je ne sais pas. Je serai bien toujours resté là-bas, avec les yeux de mon chat, à découvrir le paradis. Mais à un moment, j’ai senti que mon rêve ralentissait, que le monde merveilleux autour de moi disparaissait doucement dans un nuage de coton blanc. J’ai senti un picotement sous les paupières. J’ai rouvert mes yeux.

J’étais toujours au coin du feu. La nuit était revenue, mais il y avait encore quelques flammes dans la cheminée qui éclairaient à peine la pièce. Suffisamment pour que je vois mon chat. Il était toujours sur mes genoux, et si ses yeux étaient fermés, je comprenais qu’il ne dormait pas, mais qu’il rêvait. C’est-à-dire qu’il était de l’autre côté du sommeil, au paradis.

Quelle chance avais-je, me suis-je dit, d’avoir un tel chat ! Moi qui m’étais toujours demandé en quoi consistaient ses pouvoirs mystérieux, je venais de comprendre qu’ils m’avaient révélé qu’il y a un autre monde derrière celui où nous vivons. Un monde tout proche, magiquement relié à celui où tu vis, et que tu peux découvrir toi aussi comme moi. Pour cela, tu n’as pas besoin de magie, mais simplement d’un chat.

Aussi, la prochaine fois que ton chat viendra te voir, ne manque surtout pas de croiser son regard. Alors, tu verras, il y a de bonnes chances pour que le miracle se produise pour toi. Et si ça n’est pas tout de suite, ça n’est pas grave. Car il y a déjà un autre miracle. C’est celui de l’amour qu’il te donne. Si tu ne comprends pas toujours tout, lui comprend que cet amour, il est bon pour toi.

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