Un appel

19 Mai Un appel

Je dormais encore. Le téléphone a sonné et vibré jusqu’à ce que je me réveille et que je le saisisse d’une main encore hésitante. Avant de décrocher, j’ai eu le temps de voir l’heure sur l’écran. 5h24 du matin. Un appel à cette heure, ce n’était pas bon signe.

C’était mon frère.

« Maman va mal. J’ai veillé cette nuit auprès d’elle. Un infirmier vient de passer. Il pense qu’elle n’en a plus pour très longtemps. »

De ma fenêtre, je plonge dans la pénombre du jardin. La lumière est encore incertaine, le ciel n’a pas encore dévoilé des teintes plus claires. Un instant, je voudrais me recoucher, avec l’espoir que le bout de nuit qui reste aura effacé, à mon prochain réveil, ces nouvelles inquiétantes.

Pour une poignée de secondes, je reste assis au bord du lit. Le son de la voix de Paul qui résonne dans ma tête est pourtant trop clair, j’entends encore sa dernière phrase comme s’il était à côté de moi :

« il est temps que tu viennes ».

Sans allumer la lumière, je descends à la cuisine. Puis, une tasse de café à la main, je sors sur la terrasse ouverte au jardin. Les lourds feuillages retiennent encore les premières lueurs dans leurs hauteurs. Ici, la nuit est encore noire.

Mes pensées vont peu vers ma mère. Elles se bousculent en désordre pour l’organisation de mon départ. Malgré la distance qui nous sépare, j’aurai préferé prendre la voiture. De crainte d’arriver trop tard, je choisis de prendre le train.

Selon Paul, les médecins ne savent pas si c’est une question d’heures ou de jours. Il ne m’en a pas dit plus. Son appel n’a duré que le temps de me dire la nouvelle. Nos relations ne sont jamais allées beaucoup plus loin.

Elle ne souffre pas. Ses phases de sommeil sont de plus en plus longues. Ses moments de lucidité sont de plus en plus rares. Ils ne durent pas plus que quelques dizaines de secondes. La vie reflue d’elle doucement et certainement.

Depuis quelques semaines, Paul et moi nous relayons au chevet de ma mère. Sa longue maladie, sa lente et inexorable agonie s’est accélérée à la fin de l’hiver. J’étais encore auprès d’elle il y a moins d’un mois. À chacune de mes visites, la quitter était toujours difficile. J’essayais, en refermant la porte, de la regarder jusqu’à ce qu’elle disparaisse derrière l’embrasure. Je me disais que je la voyais en vie pour la dernière fois. Tandis qu’elle, le regard perdu dans un ailleurs indéfinissable, ne remarquait pas mon départ.

Le ciel est lourd à mon arrivée à Saint-Malo. Des masses de nuages sombres s’accumulent au dessus des toits d’ardoise de la ville. Paul qui m’attendait sur le parking de la gare m’accueille de ces quelques mots :

« Maman ne s’est pas réveillée. Le médecin qui est passé en fin de matinée ne s’est pas prononcé. Il dit qu’elle peut nous quitter aujourd’hui comme dans plusieurs semaines. Il a parlé d’une patiente à l’étage du dessus qui vit comme ça depuis six mois. »

Après avoir remonté les rues de Saint-Servan, nous descendons la ruelle qui longe le mur de pierre du cimetière qui surplombe la vue sur Dinard, de l’autre côté de la baie. Nichée au creux d’un vallon que baignent les eaux de la Rance et de la mer qui s’y rencontrent, l’entrée de la maison de retraite est juste en bas. Elle doit certainement son nom peu harmonieux – le Vau Garni – à son repli creusé au fond d’une crique.

Mes pensées pour ma mère, au cours de mon voyage, se sont concentrées sur le moment où je la retrouverai. Parviendrai-je à saisir son dernier souffle où n’arriverai-je pas trop tard ? C’est surtout son visage qui vient flotter devant moi. Je crains l’altération subite de sa santé et la crispation des traits de son visage. Ceux-là même qui, depuis des années déjà, s’effacent dans une torpeur envahissante.

2 commentaires
  • louis de sagazan
    Posted at 17:47h, 02 mai Répondre

    Ah ! Je tombe à pic puisque cette préface est postée du 29 avril et que nous n’en sommes qu’au 2 du mois suivant ! Chaque semaine un chapitre ? Je m’abonne !

  • Claudine
    Posted at 22:19h, 23 mai Répondre

    Depuis que je suis tombé sur votre site, je vais de découverte en découverte et je ne me lasse pas de lire vos textes dont j’apprécie le charme et la poésie. Et avec ce chapitre 2, vous nous offrez en plus du suspense ! Merci !!!

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