Deux folles

20 Oct Deux folles

Est-ce la réminiscence d’un roman d’Amélie Nothomb ? Je suis à dîner chez deux folles. Leur appartement se situe dans les combles d’un bâtiment délabré. Notre table est au milieu de la pièce, il n’y a presque aucun autre meuble. L’obscurité, la pauvreté et l’abandon rêgnent. Nous sommes sous le toit, la charpente est à nu, il n’y a ni plafond ni isolation. La toiture est recouverte moitié par des ardoises moitié par des vitres d’un verre épais, à travers lesquelles s’engouffre le noir de la nuit. Il pleut dehors, une pluie froide qui tambourine les ardoises et pénètre les plaques de verres que le poids de la pluie fait tourner sur elles-mêmes comme des tourniquets. Il pleut dedans aussi.

Je suis le seul invité à ce dîner chez deux femmes que je ne connais pas mais dont je sais déjà qu’elles sont folles. Un silence lourd pèse sur nous, confirmé par le seul crépitement de la pluie qui envahit bientôt toute la pièce. Rapidement, c’est le sol qui se transforme à son tour en damier, partagé en parties fermes sur lesquelles repose notre équilibre fragile, et sur d’autres qui se mettent à tournoyer sous l’eau déferlante qui s’écroule sur les étages inférieurs presque immédiatement inondés.

L’air est cruellement froid et mouillé. Nous continuons notre repas sans un mot, comme si nous étions les acteurs-spectateurs d’une scène annoncée, attendue, inévitable. Je sens bien que mes deux hôtes échangent parfois des regards, mais je n’ose m’interposer et reste accroché à mon bout de table. Je suis concentré à finir mon assiette. Le plat est aussi insipide qu’interminable, il semble que ce dîner dure depuis si longtemps, et qu’il sera sans fin. L’éternité, entre ces deux geôlières ?

Ce sont deux femmes sans beauté et sans âge, ou plutôt d’un âge si avancé qu’il est bien au delà des temps de la séduction. La froideur et l’indifférence presque haineuse qu’elles expriment rend leur laideur presque parfaite. Qui sont elles pour moi ? Que fais-je ici dans ce simulacre de huis-clos ? Suis-je venu ici à l’invitation de l’une d’entre elles ? Aurai-je fait une rencontre qui a mal tourné ? Une conquête ultime ?

Pourtant, je sens que ces femmes sont complètement femmes. C’est indéfinissable. Elles sont à l’étape finale de la féminité, mais dans un refus total de sensualité, d’accueil et de chaleur. Leurs visages sont entièrement donnés au va et vient masticatoire. Comme si se nourrir était la seule chose à faire, la seule qui reste, après que toutes les illusions et tous les désirs sont démasqués ou effacés.

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