« Quatre saisons à Londres » de Marie-Françoise de Cacqueray – Note de lecture

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Note de lecture du 13 octobre 2015

Est-ce parce que Londres, ville natale de mon père, a une place si importante dans mon coeur ? La lecture de “Quatre saisons à Londres” m’a donné le grand plaisir de plonger dans cette ville que j’avais découverte avec lui dans mon enfance. J’ai retrouvé l’atmosphère post-victorienne, le charme chic et vieillot qui rêgnait encore au cours des seventies, avant le boom formidable qui en a fait depuis une des métropoles les plus vivantes et modernes d’Europe.

 

Comme Marie-Françoise de Cacqueray, je me souviens d’une ville majestueuse, riante et sombre selon les heures, comme le rappelle Voltaire en citant le médecin d’un ami : « Restez-y jusqu’en novembre, et vous verrez des gens se pendre par milliers » (p.38).

 

En attendant, mon père en était très fier. Il me disait que Paris était la capitale d’un royaume quand Londres était celle d’un empire. En surplomb du Mall qui mène à Buckingham Palace, je me souviens d’un déjeuner dans son club, un cercle très select de l’Amirauté Britannique dont il était devenu membre, en récompense d’avoir bravement combattu la seconde guerre mondiale sous le pavillon de la Royal Navy. J’entends encore le silence d’immenses salons aux plafonds si hauts qu’ils disparaissaient dans l’obscurité de ces lieux aussi secrets que des temples sacrés. Je vois les profonds fauteuils de cuir capitonnés où quelques vieux messieurs lisaient le Times ou le Daily Telegraph sans bouger, à moins qu’ils n’y étaient endormis. Je contemple encore l’emphase d’un majordome chauve, pompeux et grave, du parfum entêtant de la sauce à la menthe qui ne parvenait pas à améliorer le goût si étrange d’une viande de mouton qu’on avait dû bouillir plutôt que de la cuire, mais qu’il nous servit comme s’il s’agissait de la cuisse de Jupiter.

 

Mais revenons aux « Quatre saisons ».

 

À l’époque du récit – nous sommes en 1975 – le tunnel ne ralliait pas encore nos deux pays, et le Channel les séparait comme deux continents aussi éloignés, différents et, malgré tout, si attirés l’un par l’autre.

 

C’est une attirance aussi difficile que ce récit romancé nous livre dans la rencontre entre Anna et Peter. Elle est française, épouse et mère de famille. Avec un plaisir manifeste, l’auteur nous fait suivre son exploration du Londres de l’époque, où Anna cherche à taire l’ennui d’une vie un peu trop confortable et routinière. Lui est anglais, peintre et célibataire. Si les femmes le courtisent, il est ailleurs. Il regrette le manque d’intensité de sa vie. L’esthétisme, le passion de la peinture les rapproche.

 

À partir d’une rencontre fortuite, la relation des deux personnages va évoluer vers une amitié de plus en plus forte. Les sentiments pourront-ils l’emporter sur la raison, les principes et les traditions ? Il y a combat, avec d’un côté l’habitude, l’éducation, la morale, l’attachement et la fidélité. La passion, la liberté de l’autre. Au lecteur de suivre le déroulement de l’histoire pour en connaître l’issue.

 

L’écriture est élégante et sensible. Les visites, les expositions, et surtout la peinture dévoilent les sentiments de chacun avec force : « Au moment de sombrer dans le sommeil, il vit, énorme, lumineux, irradiant, un globe jaune qui transperçait les brumes de son cerveau déjà endormi, s’y étalant en plein. Il sut alors, sans avoir la force de le formuler que c’était Turner et ses soleils. Alors, comme apaisé par l’éclatement et la limpidité de la réponse, il s’endormit d’un seul coup, pour un lourd sommeil sans rêves. » (p.86)

 

Les amoureux de Londres, des bords de la Tamise, de Windsor et d’Eton, même ceux de l’Écosse – car visiblement l’auteur aime moins l’austérité d’Edinbourg – les nostalgiques du Dear Old England apprécieront ce livre. Ils aimeront la lecture esthétique, romantique et charmante d’une remontée dans le temps et dans le raffinement et la beauté de lieux qu’ils visiteront avec un auteur qui est également un guide excellent.

 

Enfin, j’ai particulièrement aimé le dialogue profond que l’auteur a établi entre les deux personnages. Pour cela, le style narratif qui accompagne Anna s’entrecroise habilement avec le récit à la première personne de Peter. J’ai aimé cette double lecture du récit, les commentaires de Peter permettant de revivre les faits tout en les exposant sous une lumière différente. Cette double écriture, ce jeu des subjectivités, elle dit quelque chose de notre dualité. À nous qui cherchons tant à retrouver notre unité, comme si nous lui courions après au fil des ans, à l’enchaînement ininterrompu des saisons.

Édilivre, juin 2015

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