« Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable » de Romain Gary – note de lecture

Romain Gary au dela de cette limite

« Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable »

de Romain Gary

note du 18 août 2016

Roman difficile, parfois pénible lorsqu’il faut suivre le personnage principal – qui ressemble tant à l’auteur – tourmenté par le déclin de l’âge et la virilité défaillante. Mais les pages sont souvent sublimes, cette exaltation de l’amour entre un homme et une femme qui sont le sommet que toute vie devrait toujours atteindre.

En voici quelques fragments :

Elle porte ses cheveux en chignon, et lorsqu’elle les libère je me sens chaque fois surpris par la transformation du visage qui passe de la tranquillité au tumulte. Les lèvres entrouvertes semblent toujours un peu abandonnées, comme si elles avaient été créées pour un baiser ininterrompu et, de la sérénité du front à la douce obstination du menton, la jeunesse chante la certitude que rien ne doit jamais finir” p.34

 

“Peut-être manquais-je de fraternité envers les femmes et que, sans fraternité, l’amour et le bonheur ne sont eux aussi qu’un championnat du monde.” p.37

 

Jamais je n’avais aimé avec un don aussi total de moi-même. Je ne me souvenais même plus de mes autres amours, peut-être parce que le bonheur est toujours un crime passionnel : il supprime tous les précédents. Chaque fois que nous étions unis ensemble dans le silence des grandes profondeurs qui laisse les mots à leurs travaux de surface et que, très loin, là-haut, les mille hameçons du quotidien flottent en vain avec leurs appâts de menus plaisirs, de devoirs et de responsabilités, il se produisait une naissance du monde bien connue de tous ceux qui savent encore cette vérité que le plaisir réussit parfois si bien à nous faire oublier : vivre est une prière que seul l’amour d’une femme peut exaucer. (…) Il n’y avait plus de clichés, de banalités, d’usure : tout était pour la première fois. Tout le linge sale des mots d’amour que l’on a si peur de toucher, parce qu’il est couvert de taches suspectes que les mensonges y ont laissées, renouaiet ses liens avec le premier balbutiement, le premier aveu, le regard des mères et des chiens : les poèmes d’amour étaient là bien avant l’oeuvre des poètes. Il me semblait qu’avant notre rencontre ma vie ne fut qu’une suite d’esquisses, brouillons de femmes, brouillons de vie, brouillons de toi, Laura.” pp.40-41

 

Je raccrochai, me tournai vers Laura et tous ces mots qui ne savent pas parler devaient se presser dans mon regard. Il y avait longtemps que je n’avais été plus heureux qu’en ce silence. Lorsque j’allai m’agenouiller auprès de toi et que tu as appuyé ton front contre mon épaule, lorsque je sentis tes bras autour de mon cou, les mots d’amour que je murmurais retrouvaient leur enfance, comme s’ils venaient de naître et que rien encore ne leur était arrivé.” p.204

 

Les quelques heures qui suivirent me furent très douces. J’allais enfin être débarrassé de l’étranger qui avait pris ma place. Je ne sentais plus mon corps autour de moi comme un rôdeur.” p.229

 

éditions Folio

Lire la note de lecture sur « Clair de femme », du même auteur

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