« La clef » de Junichiro Tanizaki – Note de lecture

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Note du 26 mai 2015

Le mari, l’épouse, l’amant, la fille. On pourrait croire à une histoire classique si souvent visitée par la littérature et le théâtre.

 

Pourtant la complexité des relations entre les quatre personnages de ce huis-clos donne au roman une densité troublante. Particulièrement lorsque le lecteur suit les méandres des désirs, des calculs, mais aussi des doutes et des réfléxions de chacun, à s’y perdre lui-même.

 

Les dédoublements sont permanents et ne surprennent pas que lui, les personnages aussi s’y égarent. Ikuko confond parfois son mari avec son amant Kimura. Le mari lui-même, ce qui est plus grave :”Je ne savais d’ailleurs plus si j’étais moi-même ou Kimura… J’eus alors l’impression d’avoir fait irruption dans la quatrième dimension.” (p.86)

 

Il y a au moins ces quatre dimensions dans le roman : le mari et l’épouse écrivent chacun leur journal secret. Un secret tacite, chacun sachant que l’autre lit le sien. Ces lignes qu’ils écrivent deviendront bientôt le seul moyen de communiquer avec l’autre, ou de se mentir à eux-mêmes.

 

Avec précision et raffinement, Junichiro Tanizaki révèle toutes nos parts d’ombres, celles que nous essayons tant bien que mal de corseter sous le poids de la morale, de la convention ou de la honte.

 

Il met à mal la structure traditionnelle du couple où, après l’accumulation des années, le mensonge, la tromperie, les jeux pervers de l’un et de l’autre seraient les derniers ciments.

 

Toshiko, la fille, n’est pas sans jouer non plus un rôle ambigû : “J’ai dit de ma femme qu’elle était sournoise, mais je le suis moi-même au moins autant. Rien d’étonnant à ce que Toshiko, fruit de notre union, le soit aussi. Celui qui, néanmoins, nous bat tous, c’est Kimura.” (p.101)

 

Négligeant toutes les alertes, le mari ne fera rien pour interrompre le cours fatal de ses actes. N’est-il pas en train de vivre les seuls moments vraiment intenses de sa vie ?  “En l’occurence, j’ai l’impression d’avoir, à cinquante six ans, découvert pour la première fois une raison de vivre.” (p.78) Et celui qui était l’initiateur de ces transgressions en sera la pitoyable et unique victime.

 

Heureusement qu’il s’agit de littérature exotique.

 

ps : je ne sais plus par quel hasard ce livre s’est retrouvé dans ma bibliothèque.

 

Mort en 1965, Junichiro Tanizaki est un des plus grands écrivains japonais du XXème siècle.

(collection “Folio”)