Je vole

13 Oct Je vole

Chaque nuit je vole. Je dévore les immensités, je traverse les mers et les déserts, dépassant les montagnes, surplombant les villes et les campagnes. Ce que je vis alors est aussi intense et poétique qu’en rêve, mais je ne rêve pas. La fulgurance des instants, la précision des situations, les vibrations qui parcourent tout mon corps… Tout est plus dense que ce que nous croyons être le réel.

La magie qui se produit à chacun de mes bonds n’en finit pas de me ravir. Une force silencieuse m’élève d’une dizaine de mètres, et je n’ai plus qu’à étendre les bras qui se déploient comme des ailes d’ange. Je franchis les tendres nuages et continue mon vol. Je monte aussi haut que la voûte du ciel.

Cette nuit, l’air était doux. Les vents étaient toujours avec moi et je voyais, au dessus de ma tête, le sourire protecteur des étoiles qui scintillaient à mon passage. Avant de m’élancer, j’avais distingué au loin, derrière une pointe rocheuse qu’il me fallait dépasser, le sommet d’une montagne que je devais rejoindre. Il y avait un danger à fuir, des proches à sauver peut-être d’un ennemi invisible et menaçant. Pendant une fraction de seconde, j’eus peur que mon pied glisse sur le sol incliné d’un balcon pierreux et humide. Mais je sautais quand-même dans le vide, encouragé par la voix d’un autre homme qui, déjà, m’attendait dans les hauteurs. Il ressemblait à Merlin l’Enchanteur, et bientôt je glissais avec lui au dessus d’une forêt aussi grande que celle de Brocéliande. Une nouvelle aventure commençait.

Chaque nuit, je vole, voilà pourquoi j’aime tant aller dormir. Aux premiers signes de l’obscurité, je me laisse gagner par le sommeil. Les dernières heures de la journée sont toujours un peu longues, l’attente du soir fébrile. Alors, une fois livré au miracle nocturne, les yeux à peine fermés, je bascule.

Mais j’oublie. Comme si une lutte sans merci était menée par les soldats de l’oubli. ceux qui, à chaque réveil, feraient place nette au rêve et à la poésie pour laisser le terrain libre aux pensées du quotidien, voire, pire, aux peurs et aux angoisses qu’il faut parfois combattre au lever.

Il devait y avoir un bon ange qui veillait sur moi cette nuit. En pleine action, j’eus la chance de me rappeler celui qui, étendu dans son lit, n’avait aucune conscience de ce que je vivais. Je ne voulus pas le réveiller. J’allais me poser sur la cime d’un grand arbre et, sortant un carnet de ma poche, écrivais quelques mots que je déposais sur la table de nuit. Il les retrouverait à son réveil. Pour qu’il comprenne et n’oublie plus.

Ce matin, grâce à cette note que j’ai relu depuis à quelques reprises, je me souviens. Je garde en moi le frémissement de cette nuit. Il vit encore en moi, comme si mon corps et les souvenirs qui sont en lui étaient une porte vers l’invisible. Cela faisait trop de jours que j’étais réduit à survivre, trop de nuits pour éponger ma fatigue. J’avais perdu le contact avec mon propre au-delà. Celui des rêves, de la beauté, des voyages et de l’imagination, le seul qui puisse me permettre de relier mon existence à ce qui lui donne toute sa force, sa beauté et son sens.

Je vais donc veiller à garder cette porte ouverte. Pour cela, je tenterai de ne pas perdre trop de temps dans ce qui ne compte pas. Au contraire, je garderai toutes les beautés contemplées, celles de la mer, du corps des femmes, des ciels étoilés et des belles musiques. Comme autant d’énergies vitales qui maintiendront ouverte cette porte vers l’invisible.

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