Nadine

10 Juil Nadine

Assis à la terrasse du Flore.

Les échanges de mes voisins me parviennent par bribes

La quinqua blonde à côté de moi, c’est Nadine. Elle leur dit qu’elle s’est fait draguer, mais il n’était pas son genre. Elle glousse du plaisir de leur donner tous les détails de l’affaire. Ils doivent être croustillants si j’en juge par les éclats de voix, les rires un peu forcés qui accompagnent tout ça. Vrais ou faux ? Je n’en sais rien, et puis je n’entends pas bien. À la regarder, je dirais plutôt faux. Elle n’est plus toute fraîche, Nadine. Je la trouve franchement sèche, peu crédible dans ce rôle de cougar de bureaux.

Et puis, c’est fou ce que l’on peut se raconter comme histoires…

Je vois à quel point ses voisins ont besoin de la croire.

Elle parle de plus en plus fort. TF1, et Patrick dont elle moque la vanité, lui qui aime tant briller mais qu’elle sait parfaitement remettre à sa place. Ou elle parle au passé, ou ce n’est pas Patrick, me dis-je. Murmures d’approbation admirative quand-même, sourires complices, respirations profondes et bienheureuses. Courte pause. On est entre nous.

Je suis obligé de tourner l’écran de l’ordinateur, elle jette parfois des regards dans cette direction. Je suis à portée de gifle.

Elle part en vacances. Tu sais Bertrand, rien n’est encore fixé, on va prendre la voiture, comme je la vends à la fin de l’année, autant en profiter.

C’est au tour de Louis maintenant. Il aime bien manger tu sais… Louis, qui est très ami avec mon ex, ajoute la brune quinqua – Brigitte je crois, grassouillettement serrée dans une veste rouge carotte et raclant régulièrement sa gorge avec fracas et distinction. On rit. C’est vrai qu’il aime manger, Louis. Ça amuse tout le monde, visiblement.

Bertrand, il est assis entre Nadine et Brigitte. Il n’a plus beaucoup de cheveux mais des lunettes fines à écailles qui balancent leurs globes ronds au rythme des rides qui, un peu plus haut, ponctuent les émotions. Ça y est, j’ai compris : ce sont trois collègues, ils travaillent ensemble, ils sont venus fêter la quille ce soir – les vacances.

« Tu sais qu’ils ont vendu, » dit Nadine avec joie. « Maintenant, le quartier est devenu hors de prix. Je ne te dis pas leur plus-value » continue-t’elle. Elle a bien tenté d’y mettre tout le mépris qu’il fallait, mais cela manquait de force de conviction. Respect humain, elle n’a pas osé. Et puis, elle regarde de plus en plus en ma direction, pas moi mais l’ordinateur. Courageux mais pas téméraire, je vais devoir conclure.

1commentaire
  • Louis de Sagazan
    Posted at 16:23h, 16 juillet Répondre

    Au Flore, j’aurais bien voulu en savoir plus sur ces quinquagénaires que j’ai « vu » (je devais être là aussi !), et j’aurais bien aimé la gifle ! Même virtuelle !

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