Rien n’est jamais oublié

24 Juil Rien n’est jamais oublié

Je crois que je ne peux plus sortir de chez moi sans, à un moment ou un autre, le croiser.

Les jours passent, les lieux changent. Que je prenne à droite, vers la place Victor Hugo, ou à gauche vers le Trocadero ou encore plus loin, jusqu’aux profondeurs du Bois de Boulogne. Immanquablement, je finis par le rencontrer.

Le petit homme est déjà d’un âge avancé et marche d’un pas lent mais assuré. Le cheveux blanc et rare sur une tête découverte, d’où s’échappe toujours une mèche ou deux au vent d’été. Les habits toujours les mêmes, ceux d’un petit monsieur des villes, tout de beige ou de gris, ceux qui se confondent dans la faune ordinaire des rues…

Depuis quand nous croisons nous ? Cela doit faire une semaine ou deux que je l’ai remarqué. Cela ne dure que le temps d’un regard. Nous ne nous sommes jamais parlé, Nous n’avons même jamais ralenti le pas. Ni lui, ni moi. Et quand je me retourne sur lui, il ne se retourne pas, il continue son chemin. À chaque fois.

Maintenant, lorsque je reconnais sa silhouette, que nous nous rapprochons l’un de l’autre, je fais semblant de ne pas l’observer. Je baisse mes lunettes de soleil sur mon nez, lui cachant ainsi mon regard. Mais je ne le perds pas des yeux un instant. Lui ne fait rien, ne manifeste rien. Il marche, passe à ma hauteur, ne me remarque même pas, disparait.

Pourtant, je sais qu’il n’est pas là par hasard. Il n’y a pas de hasard. Alors pourquoi ?

Maintenant, je ne peux m’empêcher au cours de mes marches quotidiennes, de le chercher. Je m’inquiète tant que je ne l’ai pas retrouvé. Mais n’allez pas croire que je suis rassuré, dès que je le revois.

Car lorsque je le retrouve enfin, de loin, je suis parcouru d’un frisson de terreur.

Le visage de cet homme m’est familier. Est-ce la banalité de ses traits ? La modestie de son allure, qui le font ressembler à des millions de vieillards inutiles ? Je ne sais pas. Un sentiment de déjà vu. Oui, de l’avoir déjà vu mais, surtout, que lui m’a déjà vu.

Pourquoi ai-je le sentiment d’être nu, à son passage ? Comme si cet homme me connaissait de l’intérieur. Qu’il savait mes hontes, mes peurs, mes crimes même. Que rien n’est oublié, jamais…

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