Maman

22 Jan Maman

Maman,

Ta main gauche repose dans ma main gauche, ma main droite danse toute seule sur le clavier, ce qui freine mon écriture. Celle-ci s’est ralentie presque autant que ton souffle. Je suis seul dans ta chambre, François vient de sortir se reposer un peu et rejoindre Marzena, Laetitia et Charles à l’hôtel.

Nous passons sans doute nos dernières heures ensemble, physiquement, corporellement. Je suis merveilleusement ému et heureux d’être avec toi, serein, reconnaissant. C’était plus difficile tout à l’heure lorsque tu souffrais si visiblement. Nous arrivions de Paris, nous venions à peine de te retrouver. Tu avais eu le temps de me regarder et de m’appeler par mon prénom. Et soudain la crispation, la respiration très pénible. Il a fallu alerter l’infirmière et le médecin qui ont depuis fait ce qu’il fallait pour endormir la douleur et te détendre. Tu es maintenant sous perfusion de morphine. Cela rend ton sommeil lourd, même si tes yeux sont mis-clos. Tes si jolis yeux bleus doux et caressants, d’azur comme ce ciel qui vient maintenant au devant de toi.

J’aimerais que tu partes ainsi, dans ton sommeil, auprès de moi. T’accompagner pour ce moment vers l’ailleurs et ce départ de cette vie que tu m’as donnée. Je suis heureux et te rends grâce d’avoir reçu de toi le plus beau cadeau, cette vie merveilleuse.. je suis également rassénéré, que tu aie su attendre mon retour en France pour que vienne ton heure, et que j’ai pu arriver à temps aujourd’hui pour passer cette heure avec toi.

Je te regarde, paisiblement endormie. La respiration est certes heurtée et assez difficile, mais tu ne souffres pas. Ton visage de mère que je contemple sans doute pour une des dernières fois. Tes cheveux abondants, ton front, tes yeux, ton nez aquilin, ta bouche, tes joues, ton menton. Tout ce paysage tellement familier, ce pays de tous mes repères, mon enfance si tendre et si chaude au creux de ton amour, mon corps d’enfant serré contre ton corps généreux et tellement maternel et féminin et charnel. Comme mes doigts maintenant au creux de ta paume.

Ta main si souvent serrée pour m’assurer de ta protection et de ton amour. Je me souviens tout de suite combien j’aimais la toucher, l’embrasser, suivre du doigt ses formes et ses détours.

Mère si simplement, si profondément et entièrement, tendrement. Tu as fait de mon enfance un royaume de soleil qui a illuminé toute ma vie. C’est aussi grâce à toi que j’ai compris que l’essentiel passe ici par les femmes et c’est par toi que j’aime les femmes et aussi un peu à cause de toi qu’il me semble inutile d’aimer leurs frères masculins.

La cadence de ton souffle régulier rythme une harmonie douce et chaude et me rappelle cette beauté que tu m’as transmise. C’est ce second cadeau si précieux que j’ai reçu de toi. Je te promets aujourd’hui de fructifier davantage ce don dans cette vie nouvelle qui s’ouvre devant moi. Maintenant… avec toi, ton soutien et ton souffle, là où tu seras, dès l’instant où ta respiration d’ici aura cessé.

C’est le temps qui s’impose et qui bat à mes tempes son rappel : c’est son heure, inplacable peut-être, mais aussi aujourd’hui clément et libérateur, lui presque toujours si discret, fuyant, mystérieux…

Je m’incline devant lui, accepte son appel et m’incline devant toi et embrasse encore tes tempes et ta main et tes joues, mon adorable Maman

Texte écrit dans la nuit du 22 janvier 2010. J’ai veillé toute la nuit avec elle. Elle est partie quelques jours plus tard, le lundi 25, vers midi. Le dernier mot qu’elle a prononcé avant de s’éteindre, c’était le vendredi après-midi à notre arrivée. Ce fut mon prénom.

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