Le fil perdu

20 Juin Le fil perdu

À son tour, il se demandait s’il n’avait pas trop lu. Avec ses livres, ne s’était-il pas enfermé sur lui-même, comme le font les fleurs, la nuit ? Sauf que pour lui, le jour ne venait plus. Ses livres, compagnons d’un moment, n’étaient que des objets inanimés qui s’empilaient sous la poussière de ses étagères.

Il avait perdu le fil de presque tout ce qui le reliait à la vie, aux autres, ce qu’on appelle la société. Lui qui avait créé des entreprises et dirigé des hommes, il était sans activité depuis des mois, décrochant ça et là des missions éphémères auxquelles il ne s’intéressait pas. Lui qui avait compté des amis n’en voulait plus. Il avait eu des maîtresses et n’en avait plus. Il avait été marié, sa femme avait attendu l’envol de ses enfants pour le quitter à son tour.

Ce qui lui arrivait était digne des anti héros de ses romans préférés, pas de la vraie vie. Parfois, il se pinçait pour se convaincre qu’il ne rêvait pas, mais ses rêves étaient beaucoup plus intenses que ça.

Il était formidablement isolé et ne savait plus comment rompre le mur de verre, incassable, invisible et pourtant bien réel, qui le séparait de tout. Ce n’était pas le désir qui lui manquait, il savait que toutes ses passions n’attendaient qu’un signe pour s’éveiller. Mais rien… Quel sortilège l’avait frappé ? Le fil était perdu, mais il en était des milliers d’autres qui le retenaient dans un vide idiot et effrayant à la fois.

Le paradoxe, se disait-il, c’était d’avoir commencé si tôt son huis-clos. Et ce qui était le plus glaçant, c’est qu’il y était tout seul.

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