J’ai une copine

04 Juin J’ai une copine

– J’ai une copine, je ne suis pas du tout intéressé ! »

Au bout de quatre ou cinq répétitions, j’ai fini par le remarquer. Il est à quelques mètres de ma table, en terrasse du Flore. Le grand diable est planté au milieu du trottoir. Silhouette de géant, imperméable noir, long parapluie fermé glissé sous le bras dont la pointe qui s’élève derrière lui semble lui avoir transpercé le dos. Il doit faire peur, sans s’en rendre compte.

Dès qu’une jeune femme, seule ou en groupe, se rapproche de lui, il recommence. Il ne prend même pas le temps de choisir. Il se plante droit devant, et répète à chacune :

– J’ai une copine, je ne suis pas du tout intéressé ! »

Après quelques minutes, je n’ai pas pu m’empêcher d’éclater de rire. Il se retourne vers moi. Il est tellement grand, il a l’air un peu étrange. Moment d’inquiétude… Je lève la paume de la main en sa direction, en signe de sympathie, de solidarité, de compréhension. Enfin j’essaie quelque chose… mais j’évite son regard.

Mon geste l’a touché. Il s’adresse à moi :

– On vit un calvaire, elles ne le savent pas ! »

Aussi vite, il tourne les talons, part au loin. Mon dieu, quelle vérité ! Je suis saisi par la violente justesse sa phrase.

Je passe du rire au silence. Oui, si elles savaient !

Si vous saviez…

Je l’entends qui parle fort. Des longs monologues dont ne me parviennent que des éclats de voix. Les passants l’évitent manifestement. Ils marquent autour de lui un halo de vide inquiétant. Un instant, je l’aurai pris pour un romantique un peu fantaisiste. Finalement, je crois bien qu’il est devenu fou, à force de ne pas la trouver, sa copine…