Il est sympa Benzema

05 Mai Il est sympa Benzema

– Il est sympa Benzema… »

Quelques secondes passent…

– Il est sympa Benzema !  »

J’ai levé les yeux. Non pas que je trouve Benzema sympathique. Je hais ce football hyper médiatisé. Mais la répétition de cette déclaration philanthropique m’a réveillé de la douce torpeur à laquelle l’attente, dans le fond de ce troquet du 9ème arrondissement, m’avait invitée.

Au milieu de la salle, l’homme est planté, seul dans son costume un peu trop élégant pour le lieu, pour le bonhomme ou pour les deux. Visiblement, il a voulu jouer la classe pour en imposer, mais son visage banal en dit beaucoup moins, et les rayures trop épaisses de sa chemise jurent un peu trop. Ses déclarations, pendant le temps, ont dégouliné par terre, sans que nul ne songe à les relever. Il est vrai qu’il n’y a presque personne autour, il aurait du s’en rendre compte avant de pérorer. Tant pis, c’est le moment qu’il a choisi pour parler foot, en spécialiste avisé, élégant et un peu complice. Peut-être qu’il le connaît, le sympathique Benzema ?

Silence tout autour. Notre homme a tourné la tête. Son visage pend dans le vide de réponse, d’écoute ou même de regard. Rien, le désert. J’ai peur qu’il recommence une troisième fois, mais non, on dirait qu’il a enfin compris. Les mains mi-ouvertes, comme si elles serraient du néant, sont posées lourdement sur le comptoir. À travers les vitres, il suit du regard le garçon de salle parti servir en terrasse et qui ne l’a pas entendu. Je suis au fond, il ne m’a pas remarqué. Mais il n’aventure plus son regard maintenant, il préfère regarder droit devant lui, en direction des bouteilles rangées sur le mur. Il a l’air honteux et ridicule. Il est complètement seul. Pas comme le fier, populaire et sympathique Benzema.

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1commentaire
  • Louis de Sagazan
    Posted at 22:11h, 07 mai Répondre

    j’ai lu avec plaisir « Il est sympa Benzema ». Jaloux de lire par exemple :
    – ses déclarations, pendant le temps, ont dégouliné par terre, sans que nul ne songe à les relever. » On dirait du vomi… (j’émets juste un bémol pour l’expression : »pendant le temps », dont je ne saisis pas tout à fait l’utilité)
    – « son visage pend dans le vide de réponse, d’écoute, ou même de regard ». Un visage qui pend dans ce vide-là, celui de la relation, bien joué saligaud !
    Un texte un peu Beckettien, sauf qu’évoquant une situation assez courante à Paris, mais plutôt dans les rues que dans un troquet : tous ces gens « déconnectés » de notre société, qui parlent à un être imaginaire, qui est en eux, souvent le fruit de leur schizophrénie…
    Bien vu aussi ton retrait de spectateur, qui n’a pas du tout envie de rentrer dans la danse !

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