Cauchemars ?

16 Nov Cauchemars ?

Il avait fait très chaud ce soir là. William Williamson s’était couché trop tôt et trop vite. Réveillé en pleine nuit et ne pouvant plus trouver le sommeil, il brancha la radio qui diffusait la chronique de faits-divers criminels.

En suivant le déroulement d’une histoire, il s’enfonce dans la nuit. Il ne sait plus s’il dort ou s’il est mêlé à l’action : il y a eu un crime et le meurtrier qui, fuyant dans l’obscurité, pousse un corps enveloppé dans un grand sac de toile, en pleine forêt, sous une pluie diluvienne. La masse qu’il traine est alourdie par l’humidité envahissante. Elle s’embourbe. Tout se confond alors : Est-ce le meurtrier ou lui qui, avec un tel fardeau, ne parvient plus à franchir le tronc d’un arbre que la tempête a couché en travers du chemin ? Le corps glisse, résiste à son emprise, et lui échappe d’un coup. Entraîné par la pente, il prend de la vitesse. William Williamson se met à courir derrière lui, tente de le rattrapper.

Dans son rêve, il voit son manteau soulevé par le vent, gonflé comme la roue d’un paon, plaquant contre les yeux du dormeur un voile sur l’inavouable. Leur course macabre et comique les précipite vers un groupe de maisons, en lisière de la forêt. Le cadavre finit par s’immobiliser au bout d’une ruelle, en plein milieu d’une place. Des passants attardés ont vu la scène. Ils ont découvert le corps, dégagé le visage en déchirant le sac. C’est celui d’une femme. Lui s’est arrêté, haletant, trempé, les mains souillées de boue et de sang. Il est la cible de tous, en place publique, il est nu. Hors de question de s’échapper, il doit s’expliquer. Les villageois se rapprochent de lui dans une absence de mots aussi lourde qu’une condamnation. Sa vue se trouble.

Il ressent sur la tête un coup au bruit lourd qui le réveille brutalement. Il pose les pieds rapidement sur le sol et reste assis sur son lit. La tête lui tourne et lui fait mal. Une heure plus tard, il voit le jour se lever avec soulagement. Il ne peut chasser les images de ce rêve étrange.

Il aimerait se rendormir, c’est à ce moment qu’il entend quelqu’un sonner à la porte avec insistance. Si tôt ? Il n’attendait personne. Un coup d’oeil en direction du réveil : il est déjà neuf heures du matin ! Revêtant à la hâte une robe de chambre, il va ouvrir. Une femme inconnue pénètre dans l’entrée avant qu’il ne l’ait vraiment invitée.

– vous aviez oublié ma venue ? J’ai dû sonner trois fois

Il se souvient vaguement avoir commandé la veille la visite d’un médecin.

– où puis-je vous consulter ?”

Il la fait rentrer dans la pièce principale qui sert de salon et de bibliothèque à la fois. Il avait laissé la veille les fenêtres grandes ouvertes. Les rideaux s’agitent et se gonflent à la lumière et au vent. L’invitant à s’asseoir, il referme les fenêtres. Lorsqu’il se retourne vers le médecin, il est frappé par le noir de ses cheveux qu’il n’avait pas remarqué plus tôt. Leur éclat transforme la pièce et l’assombrit soudainement.

Déposant sa serviette au pied de la chaise, elle croise les mains sur les genoux et fixe sur lui des yeux d’un même noir. Encore un de ces regards de femme qu’il ne peut soutenir.

– de quoi s’agit-il exactement ? »

Il commence par lui raconter ses maux de tête, ses vertiges, mais il se garde de lui en dire plus. Elle l’écoute et plisse le front.

– ce n’est pas ce que vous avez dit en prenant le rendez-vous. Je ne suis pas spécialiste en maux de tête !

– comment ? »

En réalité, il n’a pas le souvenir exact de cet appel. De quoi a-t’il pu parler ? Son regard va ricocher contre les murs, qui ne renvoient aucune réponse. Il n’ose toujours pas la regarder et tente en vain de rafraîchir sa mémoire.

– vous ne vous souvenez-pas ? Vous ne voyez pas ?”

Il est surpris par cette intonation sûre et autoritaire. Ce n’est pas comme si cette femme lui posait des questions, il sent qu’elle veut entendre une réponse qu’elle connaît déjà! Il commence à s’inquiéter, mais il n’a pas la force de réagir, il se sent irrésistiblement dominé par cette femme en noir.

– voyons, faites un effort !”

Il frissonne de tout son corps. Il voudrait crier. Elle lui fait peur. Il vaudrait mieux la mettre dehors, mais il n’en a pas la force. Il reste muet et paralysé.

Elle sort alors un dossier de sa serviette, le pose sur la table, en extrait une photo. Il y distingue quatre ou cinq formes couchées. On dirait des corps, ficelés dans des sacs de toile sombre. N’est-il pas en train de reconnaître une scène déjà vue, déjà vécue ? Elle lui montre une autre photo. Il fait de plus en plus sombre et froid dans la pièce. Tétanisé et obéissant, il la prend entre ses doigts tremblants. Il doit l’incliner légèrement pour qu’elle prenne la lumière, pour s’assurer qu’il voit bien ce qui est sur l’image. Ce sont toujours les mêmes corps, mais leurs têtes ont été découvertes. Et il distingue des femmes endormies ou mortes. Elles ont toutes les mêmes cheveux noirs, les mêmes traits, identiques à celui de cette femme morte dans son rêve cette nuit! Le sang afflue à ses tempes. La femme s’est levée, elle s’est rapprochée de lui. Il est saisi d’effroi. Il voit la criante ressemblance. C’est elle, sur la photo ! Tous ces corps… Le même visage ! Elle est au-dessus de lui, son ombre le recouvre entièrement. I sait qu’elle va bientôt pointer son doigt vers sa poîtrine qui, déjà, étouffe. Il ne peut pas fuir. Il tombe de sa chaise à la renverse.

Pris par un soubresaut, William Williamson se réveilla sur le sol. Il était tombé du lit. Il osa à peine ouvrir les yeux. Lentement, il reprit conscience, soulagé mais tremblant ! Il s’était rendormi ! Il se précipita sous la douche, s’habilla rapidement et décida d’aller prendre son petit déjeuner au café d’en bas. Il était poursuivi par la vision du dernier rêve. À la fois terrorisé par cette femme venue prononcer son jugement, et heureux que ce n’était qu’un délire de plus.

Pourrait-il trouver une signification à de tels rêves ? Il avait lu quelque part que voir en songe la mort de quelqu’un, c’était lui porter bonheur. Mais la victime de son rêve ne ressemblait à personne qu’il connaissait.

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1commentaire
  • Louis de Sagazan
    Posted at 20:59h, 16 novembre Répondre

    Bien joué, dieu ! La femme au cheveux si noirs, médecin, j’y ai cru… dieu sorcier…!

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