Carpe Diem

13 Avr Carpe Diem

Il y eut un échange de regard. Nous nous croisions dans la rue. Comme toujours, je ne marchais pas, je courais presque. Pourtant, j’eus le temps de m’effacer légèrement pour lui laisser le passage alors que le trottoir, à cet endroit, rétrécissait juste pour faire exprès.

Alors nous nous sommes vus. Et j’ai compris. Le temps d’un coup d’oeil. J’étais déjà plus loin lorsque j’ai tout saisi.

Cette crainte dans son regard, je n’en avais jamais vue de pareille. Une peur mortelle. Celle de la vieillesse livrée dans son entière fragilité.

La vieille dame n’avait plus l’âge d’être regardée et convoitée depuis quelques dizaines d’année déjà. Pourtant, à la finesse de ses traits, son élégance et l’abondante chevelure qu’elle coiffait d’un foulard discret, je vis qu’elle avait encore les vestiges d’une grande beauté qui avait dû distribuer beaucoup de bonheur de son vivant.

Son pas était hésitant. Elle savait qu’elle était devenue une proie facile. Celle d’un passant distrait ou malveillant pouvant la bousculer et la fracasser sur le bitûme, ou celle de n’importe quel voleur à la tire. Elle se savait définitivement vulnérable. Chaque sortie dans la rue devait tenir de l’exploit et, en même temps, d’un formidable défi contre le néant qui la guettait déjà dans l’ombre de sa chambre, le creux de son lit.

Carpe Diem, me suis-je dit. Et j’avais en tête une scène mémorable du film « Le Cercle des Poètes disparus ». Nous sommes tous en train de vieillir et de mourir, et je n’ai pas encore commencé de vivre.

Paris

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